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Publié le : 12/03/2021 – 18:44
Dans l’après-midi du 8 mars, une femme a sauvé de justesse une fillette d’une agression sexuelle dans un immeuble du Caire, après avoir vu sur une vidéosurveillance en direct un homme entrainer l’enfant dans un recoin de la cage d’escalier et commencer à lui effleurer le corps sous ses vêtements. Épinglé par la diffusion des images sur les réseaux sociaux, le suspect a tout de même suscité des réactions controversées. Les militantes féministes dénoncent une culture du viol sous-jacente en Égypte.
Les internautes égyptiens l’ont érigée en héroïne. La vidéosurveillance qu’Eugénie Osama, employée d’un laboratoire d’analyses au Caire, a relayée sur Facebook dure à peine une minute, mais a fait l’effet d’une bombe. On y voit un homme portant lunettes, cravate et costume entrer dans le hall d’un immeuble, il invite avec insistance quelqu’un hors champ à le suivre. Une fillette habillée en rouge le rejoint, l’homme la dirige vers un coin de la cage d’escaliers et commence à lui effleurer les parties intimes, malgré sa réticence.
Brusquement, Eugénie Osama, qui a vu scène sur la caméra surveillance du laboratoire, sort et le confronte. La fillette s’échappe. De par ses gestes, on comprend que l’homme nie catégoriquement les faits, ce à quoi Eugénie rétorque en indiquant la caméra du doigt. L’homme quitte ensuite rapidement l’immeuble.
Etant donné le caractère choquant de la vidéo, nous n’en publions que des captures d’écran.
“[Espèce d’] Animal dégueulasse et infâme !”, commente Eugénie Osama en légende de cette vidéo qu’elle a prise de la vidéosurveillance originale. Elle a indiqué sur son compte Facebook que la plateforme l’a supprimée plus tard parce que la vidéo enfreint son règlement de publication.
En Egypte, l’extrait a été visionné plus de 600 000 fois sur Twitter, et a suscité colère et indignation. Après la fuite de l’agresseur, Eugénie Osama a publié la vidéo afin “d’exposer cet animal et qu’il soit puni pour ce qu’il a fait à la fillette […]”. “Lorsque je l’ai confronté en montrant la caméra, il s’est enfui. Il faut le trouver et le dénoncer !” dit-elle dans sa publication originellement postée sur Facebook.
L’incident s’est déroulé dans un immeuble de la place de la Liberté, à El Maadi, une banlieue huppée au sud du Caire. Grâce à son visage visible dans la vidéo, des internautes ont pu identifier et épingler l’agresseur, pratique connue sous le nom de “doxxing”, avant de l’exposer à la police. Interpellé par des millions d’internautes puis par une entité nationale de protection de l’enfance, le parquet du Caire a ouvert une enquête, et menant l’agresseur à une condamnation à sept ans de prison le 10 mars.
En guise de défense, Mohammad Gawdat a prétexté qu’il connaissait bien l’enfant, lui achetant souvent les mouchoirs qu’elle vendait, et qu’il “jouait” avec elle et la “taquinait”. Il a aussi assuré avoir lui-même deux enfants, dont une fille.
Une seconde vidéosurveillance, vérifiée par la police du Caire, provenant de la rue de l’immeuble cette fois-ci, montre que l’agression semble avoir été préméditée : on y voit l’agresseur parler à la fillette, puis tous les deux se diriger vers l’immeuble en question.
Dans des interviews données à des médias égyptiens, Eugénie Osama a expliqué qu’elle a vu la scène depuis son bureau à la réception du laboratoire. Elle dit avoir poursuivi l’homme, accompagnée de sa collègue, avant de le perdre de vue dans la circulation.
Troisième vidéosurveillance montrant le moment de la fuite de l’enfant puis de l’agresseur, suite à sa confrontation avec les deux femmes.
La victime, âgée de sept ans, est accompagnée psychologiquement depuis l’agression par le Conseil National de l’enfance et de la maternité. Elle vendait des mouchoirs dans la rue, et accompagnait son père, gardien d’immeuble, à la banlieue chic de la capitale.
“Documenter les agressions sexuelles est impératif : sans cela, personne ne nous croit, et encore…”
Mennah est étudiante en journalisme au Caire et militante féministe. Pour elle, filmer et documenter est très important dans les affaires d’agressions sexuelles :
Comme on a constaté avec beaucoup d’affaires d’agressions sexuelles, la plupart du temps, sinon systématiquement, la parole de la victime est remise en question, on ne la croit jamais. Et même lorsque l’agresseur est pris sur le fait, comme ici, il le nie systématiquement, et il est souvent cru au mépris de la victime. Même après que [Eugénie] a publié la vidéo en expliquant les faits, beaucoup ont trouvé un moyen de défendre l’agresseur, et de la condamner elle. Pour une bonne partie de la société, un agresseur ne mérite pas d’être puni ou épinglé, ni de voir son identité révélée. Ils disent que ce qu’il a fait n’est pas très grave, même avec une preuve visuelle. Quant aux personnes qui vont croire les victimes sans vidéo à l’appui, c’est selon moi une catégorie très restreinte.
On demande aux femmes des preuves, mais cela reste très rare : une femme peut ne pas avoir le reflexe de filmer les faits, ou prend simplement peur et ne sait pas quoi faire face à l’agresseur. C’est ce qui donne aux agresseurs ce sentiment d’avoir un pouvoir sur le corps d’autrui : l’impunité.
La presse égyptienne n’a commencé que très récemment à traiter ouvertement des abus sexuels, car l’idée générale est qu’on préfère cacher les abus sexuels et ne pas réfléchir aux causes et encore moins à des solutions. Faire l’autruche, pour éviter de “ternir leur réputation”, reste la solution la plus simple pour encore beaucoup de familles dont les enfants ont été victimes d’abus.
Cette fillette est une enfant des rues, elle a pu voir cet homme comme une figure paternelle et lui accorder sa confiance. Livrés à eux-mêmes, les enfants des rues ont besoin de l’argent et de la tendresse des passants, et cet homme en a profité. L’enfant ne comprenait sans doute pas ce que l’homme lui faisait, avant de crier à l’aide [selon ce que rapportent les médias égyptiens, NDLR]. Mais, avec l’envergure que cette affaire a pris, dans les médias et sur les réseaux sociaux, elle réalisera en grandissant ce qu’elle a subi, et Dieu sait quelles conséquences cela aura sur elle.
Plus de 100 agressions sexuelles sur des mineurs signalées en deux mois
Début mars, une jeune femme d’Alexandrie, victime d’une agression sexuelle a dénoncé son père qui a voulu l’empêcher de porter plainte par “honte”.
Le Conseil National de l’enfance et de la marternité a rappellé l’existence d’une ligne directe dédiée aux plaintes et à l’accompagnement psychologique. Le même conseil affirme avoir reçu 105 signalements en janvier et février 2021, dont 9% dans le milieu familial.
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