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Burkina Faso : « On ne peut pas parler de réconciliation tant que des citoyens se sentent abandonnés »

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Zéphirin Diabré lors de la campagne de l’élection présidentielle, à Ouagadougou, le 15 novembre 2020. Zéphirin Diabré lors de la campagne de l’élection présidentielle, à Ouagadougou, le 15 novembre 2020.

Le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, réélu en novembre 2020, s’est engagé à faire de « la réconciliation nationale » la priorité de son second mandat. Une tâche immense dans un pays où les violences djihadistes ont déjà fait plus de 1 600 morts et un million de déplacés depuis 2015.

Crimes de sang, conflits entre communautés, montée en puissance des milices d’autodéfense, dialogue avec les groupes armés… Les dossiers à traiter sont nombreux. Pour les porter, le chef de l’Etat a nommé Zéphirin Diabré ministre chargé de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale.

Pour cet ancien chef de file de l’opposition, arrivé troisième à l’élection présidentielle, il est indispensable d’engager le dialogue avec « les Burkinabés qui se sont laissés endoctriner et ont pris les armes, parfois par frustration, découragement ou sentiment d’injustice ».

Le Burkina Faso a longtemps été un modèle de cohésion sociale et de paix au Sahel. Comment en est-on arrivé à parler de « réconciliation nationale » ?

Zéphirin Diabré. Les déchirures qui traversent notre pays sont nombreuses et elles se sont malheureusement creusées ces dernières années. Certaines sont liées aux événements sociopolitiques qui ont marqué notre histoire : les coups d’Etat ou les tentatives de putsch, les méthodes autoritaires pour conserver le pouvoir, les insurrections… Autant de crises qui ont charrié leurs lots de morts, de blessés, de personnes dépouillées, torturées ou poussés à l’exil.

Plus récemment, on a également assisté à une montée des tensions entre communautés. A des luttes de légitimité autour du pouvoir coutumier, des problèmes de cohabitation religieuse et des conflits fonciers aui prennent de plus en plus une coloration ethnique. Dans certaines zones, l’accès aux pâturages, rendu plus difficile à cause de l’explosion démographique et des changements climatiques, a contraint des populations à migrer. Cela a créé des conflits de plus en plus violents.

Résultat : des Burkinabés ont pris les armes contre leur patrie, instrumentalisés par les partisans d’une certaine idéologie. Avec la lutte contre le terrorisme, il y a eu une communautarisation de la sécurité. Des événements dramatiques comme ce qui s’est passé à Yirgou [le 1er janvier 2019, un massacre visant la communauté peule a fait au moins 49 morts, selon le bilan officiel] ont alimenté les rancœurs.

Je pense, enfin, que les Burkinabés ont besoin de réconciliation avec l’Etat lui-même. Certains citoyens dénoncent une justice à triple vitesse, des décisions qui ne sont pas appliquées, un développement inégalitaire sur le territoire… Sur les 5 600 dossiers en cours de traitement par le Haut-Conseil pour la réconciliation et l’unité nationale [HCRUN, créé au lendemain de l’insurrection populaire de 2014], 4 800 relèvent d’ailleurs de la catégorie « justice sociale ».

N’est-ce pas une mission impossible ? Comment peut-on réconcilier les Burkinabés ?

Je crois qu’il existe des solutions. La recherche de la vérité est incontournable, comme le besoin de justice. Les Burkinabés attendent toujours le traitement de certains dossiers emblématiques, comme celui de l’assassinat de Thomas Sankara [le très charismatique ancien président, de 1983 à 1987], le procès de l’insurrection de 2014, les événements de Yirgou…

Il y a également des accusations, fondées ou non, d’exactions dans le cadre de la lutte antiterroriste. Il faut que la justice militaire fasse son travail pour désigner les coupables et prendre les sanctions qui s’imposent. La justice travaille mais ce n’est pas facile : il y a des reconstitutions à mener, des preuves à trouver. Mais une armée ne peut pas gagner une guerre sans le soutien de sa population.

Par ailleurs, certains problèmes communautaires ne se règlent pas toujours avec la justice moderne. Face aux déchirures créées par le terrorisme, les communautés doivent se parler. On le voit au Mali, et même ici dans le nord du Burkina Faso : les populations sont fatiguées de cette guerre et discutent avec les groupes armés. Plusieurs ont déposé les armes et ont conclu des pactes informels.

Vous faites référence au « dialogue politique de Djibo » évoqué pour la première fois par le président français lors du sommet du G5 Sahel, le 16 février. De quoi s’agit-il exactement ?

On sait simplement qu’il existe des tentatives locales. Ces initiatives de dialogue au sein des communautés sont encourageantes et à encourager. Des ONG travaillent également sur le terrain dans ce sens. Mais il faut bien faire la part des choses. Il y a, d’un côté, les centrales internationales terroristes, comme l’EIGS [Etat islamique dans le Grand Sahara] et le GSIM [Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans], qui sont porteuses d’un projet théologico-politique et dont nous ne pouvons pas accepter les principes.

Et, de l’autre, des Burkinabés qui se sont laissés endoctriner et ont pris les armes, parfois par frustration, découragement ou par sentiment d’injustice. Dans ce dernier cas, on peut dialoguer. Il faut qu’ils rentrent à la maison et que l’on trouve le moyen de les convaincre de déposer les armes.

Mais à quelles conditions ? Faut-il les sanctionner ? Les amnistier ?

Tout cela, ce sont des concepts occidentaux. Chez nous, dans les communautés, si les personnes acceptent de se parler et de se pardonner, l’affaire est réglée. D’ailleurs, certains dialoguent déjà et ont trouvé des formules locales pour tourner la page.

Concernant la question de la réinsertion, il faut que des programmes soient initiés sur le plan de la formation et de l’emploi, afin de créer des opportunités économiques pour qu’ils ne soient plus tentés de rejoindre les rangs des terroristes.

Quelle est votre feuille de route ?

Nous allons préparer des concertations régionales pour écouter les acteurs, leurs plaintes et leurs ressentiments, et imaginer des solutions qui peuvent être mises en place localement. Ensuite, nous allons organiser un forum national, avec toutes les forces sociales. Nous espérons y parvenir d’ici à un an. Ce ne sera pas la fin du processus, mais une première étape.

Le plus important est de créer des outils sur le terrain. Nous avons déjà des dispositifs pour régler les litiges fonciers, mais il faut les améliorer, et, en ce qui concerne les conflits communautaires et coutumiers, les inventer.

Il faut qu’on avance sur le plan de la vérité et de la justice. Que certains groupes d’autodéfense cessent de créer des tensions. Que les jeunes qui ont pris les armes les déposent, que les déplacés qui ont fui puissent rentrer chez eux et que le sentiment d’appartenance à la nation soit réaffirmé. On ne peut pas parler de réconciliation tant que certains Burkinabés se sentent abandonnés par l’Etat.

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