Une étude française – menée entre 2018 et 2021 – montre la tension psychologique des êtres humains face à la souffrance animale, y compris sur l’autel de la science. A contrario, ils semblent moins réticents à faire souffrir leurs semblables, si l’on se réfère à la célèbre expérience de Milgram et ses dérivés. Ce à quoi les animaux paraissent plus réfractaires. Le décryptage de 30millionsdamis.fr.
Les humains plus enclins à faire souffrir un de leurs semblables qu’un animal ? C’est ce que laisse présumer une récente étude menée par l’Université de Grenoble-Alpes, couplée à la célèbre expérience de Milgram réalisée dans les années 1960. L’expérience française menée entre 2018 et 2021, et résumée dans l’ouvrage de Laurent Bègue-Sankland « Face aux animaux » (Odile Jacob, 2022), tente de comprendre les facteurs susceptibles d’influer sur notre empathie envers les animaux. Les résultats des chercheurs de l’Université Grenoble-Alpes témoignent de la tension psychologique des participants face à la souffrance « d’un animal auquel ils doivent retirer la vie pour l’intérêt de l’espèce ». Explications. Les candidats devaient « sacrifier », de manière progressive, une victime animale : en apparence un grand poisson, mais en réalité un robot biomimétique. La raison invoquée : servir une finalité scientifique, plus particulièrement évaluer la toxicité d’un nouveau médicament. Si 20% des personnes ont catégoriquement refusé de commencer l’expérience, 53% des participants sont allés jusqu’à injecter la dernière dose toxique et létale.
L’empathie : une « résonance affective partiale »
Je n’aurais pas cru m’attacher à un poisson comme ça.
Participante à l’étude de l’Université de Grenoble-Alpes
Néanmoins, les témoignages recueillis à l’issue de l’expérience montrent une certaine empathie des participants à l’égard du poisson. « J’ai failli pleurer au milieu, je n’arrivais pas à appuyer sur le bouton, il n’avait pas l’air bien », déplore une étudiante. « Je n’aurais pas cru m’attacher à un poisson comme ça. Il était gros, il était beau », ajoute une quinquagénaire. Certains avouent avoir arrêté l’expérience lorsque leur regard a croisé celui du poisson : « Ça m’a touché, s’émeut l’un des participants. J’ai ressenti quelque chose dans ses yeux ». « En croisant son regard, il y a un lien qui se crée, renchérit un étudiant. Pourquoi lui imposer ça ? » Or, « l’expérience de l’empathie n’est pas la réaction la plus commune face à un poisson, rappelle L. Bègue Sankland. Son apparence aquatique ne suscite pas des réactions aussi protectrices que d’autres animaux plus proches de nous comme les mammifères. Car l’empathie est une résonance affective très partiale ». Pourtant, « nous savons aujourd’hui que les poissons ont des capacités cognitives complexes, rappelle Violaine Colson, ingénieure de recherche en comportement des poissons. Ils ressentent également des émotions (peur, anxiété, douleur) ; et le plaisir semble avoir aussi été montré même si très peu d’études existent à ce sujet. »
Les humains plus cruels…
Toujours est-il que le pourcentage de personnes « prêtes » à faire souffrir l’animal reste inférieur à celui constaté dans les expériences menées entre humains. En 1963, la célèbre expérience de Milgram a montré que 60% des participants – humains – pouvaient administrer un choc électrique à une autre personne, au prétexte qu’un scientifique – le Professeur Stanley Milgram – leur avait demandé de le faire. Un comportement confirmé à maintes reprises par la suite. 50 ans plus tard, le jeu télévisé « La Zone Xtrême » de Christophe Nick réitère l’expérience ; et le constat est sans appel : 80% des participants ont accepté de soumettre un autre candidat à une décharge électrique, sous la pression non pas d’un scientifique… mais d’une animatrice ! À chaque fois, les victimes étaient en réalité des acteurs qui feignaient la douleur, ce que bien évidemment les « bourreaux » ignoraient.
… que les animaux !
Les « grand-mères » girafes jouent un rôle important dans la survie des membres du groupe.
Zoe Muller – Biologiste
Dans des situations analogues, nos 30 millions d’amis adoptent un comportement plus altruiste. Une étude américaine réalisée en 1964, démontre que 80% des singes observés ont préféré arrêter d’actionner la chaîne qui leur délivrait de la nourriture lorsqu’ils ont compris que ce procédé infligeait une douleur à l’un de leurs congénères. Même résultat chez les rats (Current Biology, 2020). « Certains participants aident les autres parce que voir quelqu’un souffrir crée un état d’aversion appelé « détresse personnelle » qu’ils tentent ensuite de réduire ‘égoïstement’ en aidant, explique l’étude. Les autres participants sont plus altruistes et aident même s’ils n’ont pas à être témoins de la souffrance de la victime ».
Si le comportement des humains peut surprendre, celui des animaux n’est pas si étonnant, au vu des nombreux cas de solidarité animale déjà observés. Girafes, singes, baleines … Tous ces animaux sont connus pour tisser des liens sociaux étroits entre eux (Mammal Review, août 2021).
Solidarités animales
Ainsi, grâce aux soins qu’elles prodiguent et aux savoirs qu’elles transmettent, « les « grand-mères » girafes jouent probablement un rôle important dans la survie des membres du groupe auxquels elles sont apparentées », affirme la biologiste Zoe Muller. Dans son livre « L’âge de l’empathie » (Actes Sud, 2011), Frans de Wall évoque entre autres l’altruisme chez les singes. Lorsqu’il peut choisir entre un jeton qui lui donne droit à de la nourriture, et un qui récompense également son compagnon, un singe capucin choisit systématiquement celui qui fera plaisir à tous ! Chez les cétacés, la solidarité peut même être inter-espèces ! Dans un documentaire animalier de 2009, le chercheur Robert Pitman observe des baleines à bosse faisant fuir des orques qui tentent d’attraper des phoques. Un cas loin d’être isolé.
En somme, la fraternité et la sororité ne sont pas des concepts propres à l’espèce humaine… bien au contraire. Les animaux nous enseignent la compassion : à nous de nous en inspirer !
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