Les sociologues boivent du petit lait en observant de telles évolutions. Les consommateurs qui, à l’heure des repas, sont devenus flexitariens et se régalent de steaks sans viande, sont aussi de plus en plus nombreux à trinquer avec des apéritifs et spiritueux « nolo », pour no-alcohol et low alcohol (pas et peu d’alcool). « C’était un marché de niche depuis plusieurs années. Il est en train de se développer très vite », expose Simon de Beauregard, directeur du marketing international de Pernod Ricard. Si le groupe français commercialise depuis les années 1980 la marque Pacific, un anisé sans alcool qui a connu un certain succès, ses ventes sont devenues très limitées. Mais la situation a changé. Selon l’agence spécialisée IWSR, les ventes mondiales de ce segment pèsent aujourd’hui 10 milliards d’euros et progressent de 50% par an. « La santé, la diététique, la sécurité routière et la volonté de garder le contrôle expliquent cette évolution », décrypte Marion Lebeau, créatrice de la marque Osco, un apéritif sans alcool produit dans le Sud-Ouest.
De la bière à la Suze
Le phénomène a débuté par la bière, un marché où le sans-alcool représente plus de 10% des ventes en France. Et chaque année au mois de janvier, la campagne d’abstinence « Dry January », importée des Etats-Unis, renforce la tendance. Chez Pernod Ricard, le sujet est d’autant plus brûlant que le groupe a adopté une stratégie centrée sur les consommateurs depuis l’arrivée à la tête du groupe d’Alexandre Ricard en 2015. Plus question de se contenter de vendre des boissons de qualité, il faut créer ou développer les produits que les clients attendent, en s’efforçant de devancer les impulsions prometteuses.
Selon des études citées par l’entreprise, un quart des foyers français ont acheté au moins un apéritif sans alcool l’année dernière. Telle la petite marque de gin Ceder’s, créée en 2017 et rachetée en 2021 par le géant des spiritueux à ses deux créateurs. Cette boisson à 0° dépourvue de sucre, de calories et d’additifs a été écoulée à 250.000 bouteilles dans vingt pays à un prix unitaire de 23 euros pour 50 cl. L’entreprise y croit tellement qu’elle a rénové l’étiquette et investi dans la communication en ligne. Une page entière lui est consacrée sur le site d’Amazon. Et les influenceurs passionnés de cocktails sont mis à contribution.
Mais l’offensive dans le sans-alcool se fait aussi via des marques bien plus anciennes du groupe Pernod. Cela permet de les réveiller. C’est ainsi qu’a été créé Suze Tonic, un cocktail prêt à boire à base de la célèbre liqueur de gentiane. Ce nouveau produit, lancé en France et en Suisse, est fabriqué dans l’usine historique de la marque, à Thuir, près de Perpignan (Pyrénées-Orientales).
Une autre marque vénérable va se refaire une santé grâce au sans-alcool. Pernod Ricard a lancé en avril Cinzano Spritz Zero, conditionné en canettes. « La mode du spritz n’est pas terminée et se poursuit même avec des produits prêts à boire et sans alcool, explique Simon de Beauregard. C’est un lancement très tactique avant l’été. »
Des concurrents sur le coup
Autre preuve de cet opportunisme, le groupe dégaine aussi des versions deux fois moins alcoolisées de ses marques de gin Beefeater et de whisky Ballantine’s: 20° au lieu de 40°. « On a commencé la commercialisation en Espagne. On va ensuite l’étendre à d’autres pays en fonction de l’accueil reçu », détaille Simon de Beauregard.
Bien entendu, tous les concurrents s’y mettent aussi, comme Bacardi, qui propose un Martini sans alcool. De quoi confirmer la règle bien connue du business mondial des spiritueux: la réussite ne réside pas dans la capacité à réaliser des profits, mais dans celle de les investir dans l’innovation et la communication.
MARCHÉ JUTEUX 10 milliards d’euros de ventes annuelles dans le monde. + 50% de croissance annuelle dans le marché mondial des spiritueux sans alcool et peu alcoolisés. SOURCE: IWSR 2022.
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