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Kirill Serebrennikov : « On était là avant Poutine, on espère être là après »

Kirill Serebrennikov, cinéaste et metteur en scène russe, au Deutsches Theater, à Berlin, le 9 avril 2022. LENA GIOVANAZZI POUR « LE MONDE »

C’est en homme libre que Kirill Serebrennikov participera aux festivals de Cannes et d’Avignon, où il présentera respectivement La Femme de Tchaïkovski, en compétition, et Le Moine noir, d’après Tchekhov, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, en ouverture de la 76e édition. A cette coïncidence, inédite, s’ajoutent les circonstances de sa venue en France, non moins exceptionnelles : le 28 mars, l’artiste de 52 ans a appris qu’il pouvait quitter la Russie, à la suite de longues années de procès et d’assignation à résidence. La justice de son pays lui reprochait d’avoir détourné des subventions publiques alors qu’il dirigeait le Centre Gogol, laboratoire de la création contemporaine où se pressait la jeunesse moscovite. En 2017, son arrestation avait suscité une vague de soutien internationale. C’est au Deutsches Theater, à Berlin, ville qui lui est chère, que Kirill Serebrennikov a rencontré Le Monde, vêtu d’un blouson militaire, rehaussé d’orange pétant. « N’y voyez aucun signe, dit-il. Parfois, un concombre est juste un concombre ; une banane est juste une banane. »

Avez-vous pu quitter Moscou en toute légalité ?

Oui. Je suis officiellement libre. La cour de justice a clos l’affaire. On m’a donné l’autorisation d’aller à l’étranger pour des raisons professionnelles. Je peux quitter la Russie et y revenir comme bon me semble. Dès le début, j’ai toujours voulu respecter la loi. J’ai fait tout ce qu’on me demandait.

Il est important pour vous de savoir que vous pourrez rentrer ?

Oui. Mon père est à Rostov-sur-le-Don. Il a presque 90 ans. On se parle tous les jours. Il essaie d’être courageux. De mon côté, je n’ai plus de sources de revenus en Russie : je travaille principalement en dehors. En juin, je dois monter un opéra à Amsterdam, Le Freischütz. En juillet, je mettrai en scène Le Moine noir à Avignon, puis je finirai le tournage de Limonov, d’après le roman d’Emmanuel Carrère. Plus tard, je retournerai au Thalia, à Hambourg, où j’ai créé Le Moine noir. Je devrais aussi préparer Lohengrin, de Wagner, à l’Opéra Bastille, à Paris…

« Être en Russie maintenant me donne l’impression de participer à la guerre, et je ne veux pas être partie prenante de cette guerre ! »

Beaucoup d’artistes ont choisi de quitter définitivement la Russie. Pourquoi pas vous ?

Il ne faut jamais dire « jamais ». Qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Etre en Russie maintenant me donne l’impression de participer à la guerre, et je ne veux pas être partie prenante de cette guerre ! Mais ma situation est privilégiée : j’ai du travail, un appartement ici, à Berlin, que j’ai acheté en 2011. A l’époque, c’était moins cher qu’à Moscou. Beaucoup de mes amis partent alors qu’ils n’ont rien. Leur choix est à la fois politique et humain. En Russie, il est absolument impossible d’afficher son opposition à la guerre.

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