Publié le : 06/04/2022 – 16:34Modifié le : 06/04/2022 – 16:45
Haut fait de l’armée malienne en reconquête ou massacre de civils sans précédent au nom du combat antijihadiste ? Deux versions diamétralement opposées s’affrontent sur les événements survenus fin mars à Moura, dans le centre du Mali. L’ONG Human Rights Watch dénonce le massacre d’au moins 300 civils pendant cette opération militaire lors de laquelle des éléments russes auraient aussi été présents. Les explications de Wassim Nasr.
Depuis plusieurs semaines, les forces armées maliennes (FAMa) épaulées par des éléments russes essaient d’effectuer une « montée en puissance » dans le centre du Mali.
L’idée est de mettre la pression sur les jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, également nommé Jnim) et de sa Katiba Macina en particulier. Le but est aussi de mettre en difficulté les Français pour montrer que les Russes aident à ces opérations.
Sauf que ces opérations militaires ne font pas face à une farouche résistance des jihadistes, qui étaient jusqu’à début mars en train de jauger les nouvelles forces en présence.
Puis il y a eu, début mars, l’attaque d’une base militaire malienne à Mondoro, dans le centre du pays, où au moins 40 soldats maliens sont morts et 33 autres ont été blessés. Celle-ci a été revendiquée par le Jnim comme une vengeance pour le massacre de Dogofry, où plus de 30 corps ont été retrouvés calcinés.
Pourquoi les FAMa sont-elles allées à Moura ?
Le village de Moura était ciblé.
Selon Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes à France 24, « les Maliens ont pu arrêter une personne du premier cercle familial de Mohamad Kouffa (numéro 2 du Jnim) ». Et selon des indications vraisemblablement soutirées sous la contrainte, il a été fait état de la présence de Mohamad Kouffa sur zone, ce qui a amené le déclenchement d’une opération d’ampleur des FAMa avec la présence de 100 éléments russes.
L’opération a commencé le 27 mars vers 11 h pendant un marché au bétail traditionnel à Moura et s’est terminée le 31 mars à midi. « Cinq jours d’opérations militaires, ce n’est pas une bavure mais des exactions », souligne Wassim Nasr. « Il y a eu des affrontements dans les rues du village, tous les locaux sont rentrés dans leur maison et les FAMa sont allés les chercher chez eux pendant plusieurs jours. »
Par ailleurs, deux personnes importantes ont été arrêtées et transférées par hélicoptère par les FAMa, dont probablement un des lieutenants de Mohamad Kouffa. « Le village de Moura est sous contrôle jihadiste depuis plusieurs années », poursuit Wassim Nasr, « mais cela ne justifie pas tout ce qui a suivi sur plusieurs jours et qui a été étayé par plusieurs témoignages ».
Les soldats maliens associés à des combattants étrangers présumés russes ont exécuté sommairement 300 civils, dont certains qu’ils soupçonnaient être des jihadistes, a dénoncé dans un rapport publié mardi l’ONG Human Rights Watch.
Pourquoi la Minusma et la force Barkhane ne sont-elles pas intervenues ?
Pour une raison simple : l’état-major malien a imposé depuis plusieurs mois une zone d’exclusion aérienne (illustrée ci-dessous à partir d’informations obtenues par France 24) à la Minusma et aux forces armées françaises. Ainsi, ces dernières ne peuvent pas intervenir en urgence quand il se passe quelque chose.
La zone d’exclusion aérienne imposée à la Minusma par le Mali. © France 24
La Minusma n’a pu faire qu’un seul vol de reconnaissance au-dessus de Moura, durant le week-end du 2-3 avril, après avoir formulé une demande – sans que cela ait abouti pour le moment – pour pouvoir faire une enquête.
La force Barkhane, quant à elle, ne peut pas intervenir, même s’il y a des exactions, contre les FAMa. Même avant les tensions diplomatiques entre Paris et Bamako, le centre du Mali était évité par Barkhane (à cause de problèmes interethniques, la présence de plusieurs factions) afin de ne pas se retrouver dans des situations de bavures ou d’erreurs. Dans le contexte électoral français actuel, Barkhane reste spectatrice, sauf dans le cas de quelques opérations ciblées comme dans la zone frontalière du Niger ou pour éliminer des chefs ou commandants jihadistes.
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