Tribune. La guerre en Ukraine suscite un élan de générosité sans précédent. Des centaines de Français traversent spontanément les frontières pour aller chercher en voiture, en autocar, en train, des familles ukrainiennes fuyant les villes anéanties, leur distribuent des vivres, les soignent, les réconfortent, avant de les accueillir chez eux, non seulement dans leur pays, mais dans leurs propres maisons.
Après deux années de crise sanitaire, de prudence généralisée, de contrôle ubuesque, où il nous a été interdit de sortir, interdit de voyager, interdit d’embrasser, interdit de partager, interdit d’accueillir chez soi au-delà du cercle familial le plus strict, où nous avons craint que les gestes élémentaires de notre humanité ne soient perdus à jamais, cette démonstration fracassante de solidarité ne vaut-elle pas d’être remarquée ? Mieux encore, ce témoignage de courage et d’hospitalité arrive au beau milieu d’une campagne présidentielle où plusieurs candidats ont cherché à agiter les pires chiffons rouges, à exploiter la méfiance envers l’étranger, à inspirer le repli national.
Curieusement, certains représentants des grandes associations d’aide aux réfugiés grincent des dents. En effet, les dizaines de milliers d’Afghans, de Syriens, de Soudanais, de personnes fuyant de toutes parts la brutalité et les misères du monde, n’ont jamais suscité pareille émotion. On dénonce deux poids et deux mesures, on crie au racisme, on accuse une préférence coupable pour le réfugié blanc, chrétien de surcroît.
Comparons ce qui est comparable
Ne vient-il pas à l’idée de ces mécontents que, peut-être, leur propre travail durant les dernières années a porté ses fruits ? Grâce à eux, la question des réfugiés en France est devenue centrale dans nos vies quotidiennes. Nous avons été nourris de plaidoyers en faveur de l’asile, exposés à tant d’images d’êtres humains désespérés, d’enfants jouant dans la poussière de campements sinistres. Nul ne peut plus ignorer les réalités de la guerre et de ses funestes conséquences. A force de voir des réfugiés abandonnés le long du canal de l’Ourcq à Paris, désorientés dans toutes les gares de France, amassés devant nos préfectures, quels progrès nous avons faits, et d’abord dans l’appréciation de nos carences ! Le mot « asile » est entré dans le langage courant, la réalité désespérée de l’asile est entrée dans la conscience commune.
Oui, les Ukrainiens sont européens. Les Russes aussi. Ils font partie d’une autre Europe, qui n’est pas encore unie par des traités mais qui partage une longue, brillante et douloureuse histoire et qui s’étend, selon le mot fameux « de l’Atlantique à l’Oural ». Les réfugiés non européens qui sont arrivés en France par la terre, le savent mieux que personne. Ils ont mesuré, sous leurs semelles, la continuité territoriale de l’Europe : beaucoup sont arrivés en traversant la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie, la Hongrie, la Pologne… parfois même l’Ukraine. Ils y seraient volontiers restés – mais ces Européens-là leur accordaient rarement l’asile.
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