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« Vladimir Poutine a enterré l’illusion de “la grande Suisse”, pour le moment »

Chronique. Les Européens avaient un rêve : échapper au tragique de l’histoire, chasser la guerre de leur horizon. Avec l’intégration européenne, ils avaient prouvé au monde extérieur que le Vieux Continent ne réglait plus ses conflits par les armes mais par le droit. Autour d’eux, ils rayonneraient de la même façon, par l’exemple et la norme.

Même s’il y avait eu l’avertissement des Balkans, la guerre, pensait-on, resterait cantonnée à de lointains théâtres, de la Tchétchénie à la Syrie – « chez les barbares ». Pour le reste, on pouvait s’isoler, se protéger, ignorer les tumultes de la planète, et, à l’ombre du parapluie américain, se consacrer aux affaires sérieuses : le développement économique. « Etre une grande Suisse », telle était, selon l’expression de l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, l’ambition non avouée mais largement partagée des opinions européennes. Et pourquoi pas ?

Ce que les Européens avaient réussi – à ce jour, soixante-dix années de paix – et qui était chez eux sans précédent, la mondialisation économique allait d’ailleurs l’élargir au vaste monde. Par la grâce combinée de la technologie et de la globalisation des échanges, l’interdépendance économique et financière entre les nations allait, un jour ou l’autre, bannir le recours à la guerre. Le « doux commerce », cher à Montesquieu, en garantie de la paix.

Qui a intérêt à la guerre ?

Les Allemands en rêvaient justement. La « rationalité économique » était de leur côté. La guerre entre la Russie et ce voisin qu’est l’Ukraine ? La guerre aux portes de l’Union européenne ? Vous n’y pensez pas. Regardez les chiffres. La Russie est le premier exportateur mondial de pétrole et de blé. L’UE est son principal partenaire commercial. L’Europe importe 40 % de son gaz naturel et 25 % de son pétrole de Russie – lesquels représentent une bonne partie des revenus de l’Etat russe. Qui a intérêt à la guerre ?

L’agression russe contre l’Ukraine, cette « guerre de choix » qu’aucune menace ne motivait, ne nous stupéfie pas seulement par son obscène brutalité. « Elle remet en question l’un des dogmes du capitalisme de l’époque qui tient que des intérêts économiques partagés entre nations peuvent empêcher les guerres », écrit la journaliste Patricia Cohen dans le New York Times, le 7 mars.

Raymond Aron avait prévenu : « C’est oublier l’expérience de notre siècle que de croire que les hommes sacrifieront leurs passions à leurs intérêts. » Il parlait du XXe siècle, la leçon vaut pour ce début de XXIe siècle. Pour se convaincre de l’absence de corrélation mécanique entre les échanges économiques et la paix, il faut lire le tout récent et éclairant ouvrage de l’essayiste Maxence Brischoux Le Commerce et la Force (Calmann-Lévy, 272 p., 19 €).

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