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Arpad Soltesz : « Nous autres Slovaques, nous savons exactement ce que cela signifie d’être libérés par nos frères slaves russes »

Des Slovaques accueillent les premiers réfugiés ukrainiens, à Vysne Nemecke, en Slovaquie, à la frontière avec l’Ukraine, le 25 février 2022. RADOVAN STOKLASA/REUTERS

Rendez-vous à l’évidence : Poutine croit qu’il est juste de nous tuer.

Lorsque je me suis réveillé ce jeudi matin-là [24 février], c’était la guerre en Ukraine et cela m’a fait un choc mais je n’éprouvais aucune surprise, plutôt la même chose qu’à la mort d’un proche après une longue maladie. La voie que suivrait un jour le maître de la kleptocratie kremlinienne était aussi prévisible que le sort d’un patient atteint d’un cancer du pancréas.

Nous autres Slovaques, nous savons exactement ce que cela signifie d’être libérés par nos frères slaves russes. Ils sont venus nous sauver de l’impérialisme en 1968, lorsque nous croyions naïvement que nous pouvions décider du sort de notre pays. S’ensuivirent deux décennies d’occupation. Quelques-uns d’entre nous se firent descendre alors que nous n’opposions aucune résistance. C’est là notre stratégie nationale millénaire de survie – nous ne combattons pas, vous n’êtes pas obligés de tuer pour nous asservir. Les Russes nous tuaient, juste par principe. Que serait en effet une occupation sans meurtres ?

Si le régime soviétique ne s’était pas effondré, nous serions encore aujourd’hui sous occupation russe. Nous continuons à vivre avec ses conséquences mentales et culturelles. La société slovaque se divise en « russophobes » et « russophiles », ce qui fait éclater les anciennes amitiés et les familles. Même trente ans après que le dernier soldat russe a quitté notre pays, nous n’avons pas réussi à extraire la propagande soviétique des cerveaux d’une bonne moitié de la population. Et c’est justement cela qui nous permet de toujours savoir la déchiffrer. Nous connaissons précisément le fond de la pensée de tout représentant du Kremlin, lorsqu’il ment. Nous savons qu’il ment parce qu’il remue les lèvres.

Poutine n’est fou que si nous essayons de le mesurer à notre aune

Commençons par le fait que l’Ukraine n’est pas l’objectif final de Vladimir Poutine. Ce n’est que son premier pas. Si nous ne l’arrêtons pas là, il s’en prendra aussi à nous. Cela lui prendrait un peu plus de temps d’atteindre Paris que Bratislava, mais soyez-en sûrs, lui aussi rêve de photos avec ses généraux et la tour Eiffel en arrière-plan. Cela paraît fou ? Sûr, c’est fou. Mais on pourrait un jour aisément trouver dans le dictionnaire cette définition de la stupidité suicidaire : ne pas prendre au sérieux un fou dangereux parce qu’il a des objectifs insensés.

Le journaliste et écrivain slovaque Arpad Soltesz, en 2019. PATRICE NORMAND/LEEXTRA VIA OPALE.PHOTO

En outre, Poutine n’est fou que si nous essayons de le mesurer à notre aune. Sinon, il n’est que le représentant particulièrement représentatif de la Russie. En témoignent les sondages selon lesquels sa popularité intérieure n’a pas baissé depuis le déclenchement de la guerre, mais a connu au contraire un net rebond. Et même auparavant, elle était à un niveau dont les leaders occidentaux les plus populaires n’auraient jamais osé rêver.

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