L’invasion russe de l’Ukraine a déclenché l’un des plus grands mouvements de population en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Tandis que l’armée ukrainienne fortifie les villes, de nombreux citadins fuient vers la campagne, où ils retrouvent une population rurale prête à tenir sur la durée.
Quitter les villes pour la campagne. C’est une réaction intemporelle des citadins face aux guerres, qui se vérifie de nouveau en Ukraine. Deux semaines après le début de l’invasion russe, plus de deux millions de réfugiés ukrainiens ont fui vers l’Union européenne et la Moldavie. À l’intérieur du pays, de nombreux déplacés, dont le chiffre est impossible à déterminer avec précision, se sont mis à l’abri en zone rurale, chez des proches ou dans une résidence secondaire.
« C’est beaucoup plus facile de survivre à l’extérieur des villes. Je me sens plus en sécurité dans une zone isolée, je vois pas pourquoi des militaires viendraient gaspiller des munitions et du temps pour venir ici », confie à France 24 Anna Martsinkiv, une sociologue qui habite dans une petite maison à l’extérieur d’Oboukhiv, à une quarantaine de kilomètres au sud de Kiev.
L’invasion russe lui a rappelé les vieilles histoires de ses grands-parents, qui remontent à la Seconde Guerre mondiale. Les résistants dans sa famille étaient alors traqués à la fois par les nazis et les Soviétiques… Être capable de se replier à la campagne pour faire profil bas était indispensable à leur survie.
Une maison dans la campagne près d’Oboukhiv, à une quarantaine de kilomètres au sud de Kiev. © Mehdi Chebil, France 24
Près de 80 ans plus tard, Anna Martsinkiv n’a pas oublié leur leçon. Son mari, qui s’implique dans la Défense territoriale, a fait une demande d’arme à feu. Mais quand elle est seule à la maison, son sentiment personnel de sécurité tient davantage à la présence de ses trois chiens.
« Un autre avantage de la campagne, c’est de pouvoir avoir des chiens. Ils sont comme ma propre armée, ils signalent toute intrusion et peuvent dissuader des gens mal intentionnés », explique la sociologue. « En plus, ils apportent une énergie positive, ce sont des compagnons qui vous donnent un amour inconditionnel… C’est important pour garder le moral. »
Anna Martsinkiv se sent beaucoup plus en sécurité à la campagne qu’en ville, notamment grâce à la présence de ses chiens. © Mehdi Chebil, France 24
Se ravitailler ailleurs qu’au supermarché
Un concert d’aboiements à l’extérieur signale justement l’arrivée d’une personne dans le jardin. C’est la voisine, Svetlana Kratchinko, qui apporte quelques œufs frais du jour. Un avantage conséquent d’un repli à la campagne est de sécuriser un accès à un ravitaillement en nourriture en dehors du circuit habituel.
Il est désormais impossible de trouver des pâtes, du riz ou des conserves dans certains supermarchés. © Mehdi Chebil, France 24
La plupart des marchés de produits frais locaux sont désormais fermés et les supermarchés connaissent des ruptures de stock sur plusieurs produits essentiels.
Une visite à l’hypermarché d’Oboukhiv, situé à une dizaine de minutes de route, révèle des scènes surréalistes. Les rayons de conserves, pâtes, riz ont été dévalisés. Idem pour les fruits et légumes les plus utilisés dans les recettes ukrainiennes… Impossible par exemple de dégoter le moindre oignon ou une simple carotte.
Le rayon des fruits et légumes frais dans un supermarché d’Oboukhiv, le 6 mars 2022. © Mehdi Chebil, France 24
Bizarrement, les rayons de sucreries débordent à ras bord. Quelques fruits exotiques – ananas, mangue, fruits de la passion – sont encore disponibles. Au quatorzième jour de guerre, l’approvisionnement en pain fonctionnait encore en mode dégradé.
Les œufs en chocolat, barres chocolatées et divers bonbons restent disponibles en grande quantité. © Mehdi Chebil, France 24
Svetlana Kratchinko n’a pas attendu la rupture de l’approvisionnement pour se mettre à faire son propre pain. « On a décidé de faire du pain dès le troisième jour de l’invasion, après avoir regardé des recettes sur Internet », déclare à France 24 cette femme de ménage qui faisait des allers-retours réguliers à Kiev pour son travail avant la guerre.
« J’avais remarqué que des gens commençaient à quitter Kiev, deux semaines avant l’attaque russe. On avait déjà pas mal de stocks de nourriture à la maison, et ma priorité a donc été d’acheter les médicaments pour le cœur de mon mari. Maintenant, on reste ici, on ne veut pas trop s’éloigner de la maison », ajoute la femme d’une cinquantaine d’années.
Un potager, des conserves et un puits
La maison qu’elle habite près d’Oboukhiv depuis 30 ans abrite des stocks qui rendraient envieux bien des survivalistes. En dehors des poules, qui lui fournissent des œufs frais et donc des protéines à foison, elle dispose d’un potager qui lui permet de récolter des pommes de terre, du chou, des oignons et d’autres légumes très populaires dans la cuisine ukrainienne.
Des bocaux et des conserves faites maison dans la cave d’un habitant d’Oboukhiv. © Mehdi Chebil, France 24
Héritage de la période soviétique, les habitants des zones rurales ont gardé l’habitude de faire des réserves importantes de légumes en saumure.
« On a fait des stocks d’un peu tout en avance dans des bocaux de 3 litres. On a aussi des réserves de macaronis, de riz, de lentilles et de sarrasin. J’ai un sac de 50 kilos de farine… Je sais pas combien de temps il durera, on verra bien », affirme Svetlana Kratchinko en esquissant un sourire.
Son terrain dispose également d’un puits. Mais la pompe électrique qui permet de remonter l’eau, l’une des ses rares concessions à la modernité, ne fonctionnerait plus en cas de coupure d’électricité… Et les générateurs ne sont pas répandus dans les zones rurales ukrainiennes.
Sergueï remonte de l’eau du puits situé sur sa propriété, près d’Oboukhiv, le 7 mars 2022. © Mehdi Chebil, France 24
Sergueï, un ex-militaire qui habite à 200 mètres de là, n’aura pas ce problème. Son puits à l’ancienne est parfaitement fonctionnel et il a donc un approvisionnement en eau garanti. Il a déménagé ici il y a six mois, après avoir acquis une maison et un grand potager, pour y vivre avec sa vieille mère et ses douze chiens.
« C’est important pour moi parce qu’avec la guerre, l’eau pourrait être de plus en plus chère », affirme Sergueï, qui ne craint pas manquer de nourriture ici. « Si j’étais resté en ville, on aurait été obligés de se terrer dans des caves ou des abris. Ici à la campagne, on est quand même beaucoup plus libre. »
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