Bis repetita. A l’occasion du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne qui se tient à Versailles les 10 et 11 mars, la présidence française va mettre sur la table, avec la Commission, une proposition pour bâtir un plan de résilience commun aux Vingt-Sept, afin de faire face aux conséquences économiques du conflit en Ukraine. A l’image des 750 milliards d’euros mobilisés au printemps 2021 pour réagir à la crise du Covid.
Selon Matignon, lors de ces réunions qui devaient, à l’origine, se pencher sur « le modèle européen de croissance et d’investissement pour 2030 », il sera aussi question de l’accès aux matières premières, du gaz au titane, en passant par le blé. « Sur ces sujets, il est indispensable d’agir au niveau européen pour pointer les sources possibles de matières premières et les mutualiser, estime Thibaud Moulin, associé du cabinet KYU, spécialiste des chaînes d’approvisionnement. Et au-delà, il faut un effort commun de l’Union pour qualifier rapidement les nouvelles ressources, en alumine par exemple, afin qu’elles rentrent rapidement dans les chaînes de production telles que celles de l’aéronautique. »
Bouclier énergétique
L’ensemble de ces travaux au niveau européen doit entrer dans la délicate composition de l’autre plan de résilience, celui destiné spécifiquement à l’économie française, sur lequel planche le Premier ministre. Ses contours doivent se préciser, notamment à l’occasion des rencontres organisées cet après-midi à Matignon avec les représentants des filières industrielles puis avec les partenaires sociaux. L’exécutif a déjà prévu un volet pour faire face à la montée vertigineuse des coûts de l’énergie, en blindant le bouclier tarifaire sur le prix du gaz pour les particuliers et en renforçant le dispositif en faveur des entreprises énergivores. Pas question d’un saupoudrage: les actions seront ciblées. « Le plan reposera sur des mesures simples et efficaces », promet Matignon.
Dans l’attente, les industriels ne cachent pas leur inquiétude. Alexandra Broussaud, dirigeante du fabricant de chaussettes made in France Broussaud Textiles, a déjà vu sa facture d’électricité grimper de 23%. « Il est vital qu’une compensation à la hausse du prix de l’énergie soit mise en place, martèle-t-elle. Nous sommes des survivants de l’industrie textile française. Il faut que nous parvenions à traverser cette nouvelle crise. » Elle plaide pour un allégement des charges temporaires pour les entreprises –qui ne figure pas dans les pistes de réflexions du gouvernement. Et les demandes de la responsable ne s’arrêtent pas aux grilles de ses usines: « Pour nos salariés qui gagnent le smic et viennent parfois de loin pour travailler, la hausse du prix à la pompe devient intenable », continue Alexandra Broussaud.
Pressé d’agir sur ce point, l’exécutif a accéléré la cadence. Emmanuel Macron a annoncé lundi 7 mars que les aides gouvernementales sur l’essence seraient « améliorées » autour d’une « approche indemnité kilométrique et indemnité inflation » pour faire rapidement face à la flambée des prix des carburants. Une volonté de soutien répétée par Elisabeth Borne, ministre du travail, sur LCI: « Il faut des aides pour les Français qui ont besoin de leur voiture pour se rendre au travail », être « attentif a ceux pour lesquels c’est insupportable de payer l’essence aussi cher », a-t-elle expliqué.
Situations complexes
Les complications autour du plan de résilience ne s’arrêtent pas là pour le gouvernement. Bercy a promis de jouer les vigies pour intervenir au plus vite auprès des entreprises impactées directement par le conflit ukrainien. Or, les situations qui remontent par le biais des filières professionnelles, de l’aéronautique à l’agroalimentaire en passant par la construction, sont aussi diversifiées que complexes.
« Ma visibilité se limite à un jour », explique le responsable commercial à Paris d’une entreprise fondée par un Français installé depuis trente ans en Russie, qui vend des maisons à ossature en bois. « On a constaté avec soulagement que notre banque n’a pas été frappée par les sanctions, poursuit le jeune entrepreneur. En revanche, on voit bien que les passages des frontières pour nos livraisons, par la Biélorussie, sont de plus en plus compliqués. Les embouteillages s’allongent. » Si l’effondrement du rouble paraît au premier abord rendre ses produits plus compétitifs à l’export, ce gain est en réalité absorbé par la hausse du prix des pièces de quincaillerie et des fenêtres importées d’Allemagne. Une équation qui met en péril la société. « De toute façon, ma structure est trop petite, je n’aurai jamais le droit à la moindre aide publique », estime le Français.
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Signe de cette inquiétude, la CCI France Russie, qui tient chaque jour, avec une persévérance remarquable, un point d’information en ligne depuis Moscou, croule sous les questions: Western Union permet-il de contourner les réseaux Swift, Visa et Mastercard? La fin des virements transfrontaliers concerne-t-elle les non-résidents? A quand les contre-sanctions russes? Seul point d’appui dans ce contexte détérioré: les partenaires d’affaires russes n’affichent pas d’hostilité à l’encontre des entreprises tricolores. « L’impression qui se dégage, c’est que nous sommes tous dans le même bateau –reste à savoir comment s’appelle ce bateau », remarque le directeur général de la chambre, Pavel Chinsky.
Bercy se rassure en relevant que le poids des affaires avec la Russie et l’Ukraine reste minoritaire dans la balance commerciale comme dans les comptes de la plupart des entreprises. « On est sur des niveaux de l’ordre de 2% du chiffre d’affaires », indique un haut responsable. Au total, les flux d’import et d’export avec la Russie représentaient en 2019 près de 15 milliards d’euros. « Mais les secteurs sont très inégalement exposés, relève Carine Guillaud, de l’association Relocalisations.fr, qui a disséqué les chiffres des Douanes. Dans la chimie, nos exportations en Russie montent à 720 millions d’euros, alors que notre excédent commercial global est de l’ordre de 2 milliards d’euros sur le secteur. Donc, ça va faire mal. » Idem dans les parfums et la cosmétique, où les exports atteignaient 670 millions d’euros en 2019. Les porte-étendards comme Yves Rocher ont du souci à se faire. La marque, présente depuis 1991 à Moscou, s’est étendue jusqu’à Vladivostok, portée par une puissante vente par correspondance. Hermès et Chanel ont décidé de cesser leurs activités en Russie.
Dentelle de mesures
Dans ces conditions, difficile de savoir de quelle dentelle sera fait le plan de résilience français pour les entreprises. D’autant que le gouvernement met en garde: pas question de rouvrir tout grand les vannes des aides publiques. « Nous ne sommes pas du tout dans la situation du mois de mars 2020, lorsqu’une large partie de l’économie a été mise à l’arrêt, avertit Bercy. Pour l’heure, l’idée n’est pas d’entrer dans des aides financières massives aux filières impactées. » Malgré une trompeuse assonance, le plan de résilience ne sera donc pas un équivalent du plan de relance né pendant le Covid. Et surtout pas le retour du « quoi qu’il en coûte ».
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