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L’artiste Ruslana Khazipova veut réveiller les mères russes

Les Dakh Daughters (avec Ruslana Khazipova, tête inclinée), en 2015, en Ukraine. OLGA ZAKREVSKA

Elle a envoyé un texto : « Attendez, je nourris mon bébé. » Une demi-heure plus tard, Ruslana Khazipova apparaît sur l’écran du téléphone portable. Une jeune femme ukrainienne est dans une cave de Lviv. Son visage est connu : c’est l’une des six Dakh Daughters, les comédiennes musiciennes qui ont fait claquer haut le nom de l’Ukraine dans les rues d’Avignon, en 2015, quand les festivaliers ont découvert leur spectacle de cabaret folklorico-punk, fracassant d’énergie et porté par un furieux « devoir de révolte ». Depuis, elles ont tourné partout en France et dans le monde. Ce 2 mars, la plupart d’entre elles sont à Kiev. « La sixième est partie la veille pour l’Europe avec sa maman et son bébé », dit Ruslana Khazipova. « Nous avons eu beaucoup de propositions pour aller vivre dans d’autres pays, partout. Mais je préfère rester. Mon mari est à Kiev depuis hier, c’est pour lui un grand soutien que nous ne soyons pas loin. »

« A Lviv, il n’y a pas de bombardements, pas de tirs », poursuit-elle. Il est 19 heures, les sirènes ont pourtant retenti pour la troisième fois de la journée. Dans la cave, on aperçoit une poupée sur un rebord de lit. Ruslana Khazipova a fermé la porte à triple tour. On la voit l’ouvrir quand la menace s’éloigne. Elle monte dans les étages de la maison, il y a des enfants, dont son « bébé » Mytro, un petit garçon de 3 ans. « Il sait jour et nuit ce qui se passe, précisément », affirme-t-elle. Elle porte des lunettes à monture noire, son visage est clair, ses ongles laqués et sa voix ne flanche pas.

Comme son regard, elle est directe, déterminée. Et en colère, de celles qui viennent de loin. « Nous avons vécu une guerre il y a huit ans, avec l’annexion de la Crimée. Les Russes nous disaient : la prochaine fois sera la bonne. On savait que Poutine ne reviendrait pas en arrière. On en parlait tout le temps. On l’a fait savoir dans le monde entier et on n’a pas été entendus. Et maintenant, ça recommence. C’est la troisième guerre mondiale, vous devez l’entendre. Les Russes ont commencé à bombarder des maternités où les femmes viennent d’accoucher. Ils tuent des enfants, des civils. Et le peuple russe ne connaît pas la vérité. Les mères russes ne savent pas que leurs fils sont morts et déjà incinérés. Ils ne rendent pas les corps, ils les ont brûlés. »

Sonnet de Shakespeare

Il y a quelques jours, Ganna Nikitina, autre membre des Dakh Daughters, a posté sur YouTube la vidéo d’une chanson. Elle la présente en disant qu’elle l’a écrite il y a deux mois, « quand il y avait une guerre dans deux régions d’Ukraine [au Donbass]. Et maintenant, nous avons la guerre dans toute l’Ukraine », dit-elle avant de chanter : « It’s hard to die all the time in an ocean of tears » (« C’est difficile de mourir tout le temps dans un océan de larmes »), en s’accompagnant à la guitare. En mars 2014, après l’annexion de la Crimée, une autre Dakh Daugthers, Tanya Tanya, chantait un poème de Taras Chevtchenko (1814-1861), le grand poète ukrainien : « Continuez de combattre, chevaliers de la liberté. » Un mois plus tôt, elle enflammait les révolutionnaires de Maïdan, dont elle fut une égérie. Rosy Donbass, la chanson la plus connue des Dakh Daughters, reprend, elle, le sonnet 35 de Shakespeare : « Ne sois plus affligé par ce que tu as fait/La rose a ses épines, boueuse est la source argentée. Eclipses et nuées voilent lune et soleil/Et le vers abject vit dans le plus doux bourgeon. »

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