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EnquêteDepuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine a envisagé la voie du rapprochement avec Washington, avant de se convaincre de la malignité des Etats-Unis, qui œuvreraient à un affaiblissement de son pays. En retour, le maître du Kremlin a fait le choix de la violence, du révisionnisme et du déni.
En mars 1999, un avion fait demi-tour au-dessus de l’Atlantique, au lieu d’atterrir comme prévu à Washington. A son bord se trouve un homme exaspéré : le premier ministre russe, Evgueni Primakov. Par téléphone satellite, il vient d’apprendre de la bouche du vice-président américain, Al Gore, que les Etats-Unis déclenchaient une campagne de frappes aériennes, sous étendard de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), en Serbie et au Kosovo. L’objectif – éviter des massacres contre la population albanaise de la province – importe plus que l’absence de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie de cette époque est très affaiblie, à l’image de la santé de son président, Boris Eltsine. L’été précédent, elle a connu un effondrement financier. Sa dette extérieure est vertigineuse. Elle ne pèse pas. Cet avion qui se détourne des côtes américaines est un coup d’éclat symbolique.
Evgueni Primakov voit plus loin. Depuis plusieurs années, il a défini une doctrine qui portera son nom en politique étrangère : elle vise à empêcher un monde unipolaire et une extension de l’OTAN, en privilégiant, notamment, un rapprochement avec la Chine. Il s’agit de relever la Russie. Académicien, orientaliste, Primakov est né à Kiev. Ancien patron des services de renseignement extérieurs, il ne conduira pas ce programme à bien. En août, après l’intermède Sergueï Stepachine, c’est le patron du FSB, les services intérieurs, qui lui succède. Vladimir Poutine est un homme maigre au teint de craie, inconnu du grand public. Un quatrième premier ministre en dix-sept mois, que personne n’imagine durable.
Une entreprise dévastatrice
Pourtant, les événements s’accélèrent. Attentats contre des immeubles civils en Russie, début de la seconde guerre de Tchétchénie… Boris Eltsine démissionne pour le Nouvel An et cède la place à Poutine. Les débuts sont plutôt constructifs. Les relations avec l’OTAN sont rétablies. En juin 2001, le président George W. Bush rencontre son homologue russe en Slovénie. Il le regarde dans le fond des yeux, et il dit y voir « son âme ». Une chance rare.
Le 16 juin 2001, à Ljubljana en Slovénie, première rencontre entre le président américain, George W. Bush, et Vladimir Poutine, devenu président de Russie un an plus tôt. TIM SLOAN/AFP
Vingt et un ans plus tard, fin février 2022, Vladimir Poutine rappelle à l’Europe ce qu’est une guerre en son sein. L’armée russe suréquipée est le bras d’une mission : il s’agit de détruire l’Ukraine comme réalité et projet, de pulvériser ses rêves d’émancipation et de renvoyer l’Amérique à ses vertiges. Face à l’énormité de l’offensive, les explications s’entrechoquent, témoignant avant tout de notre incapacité collective à trouver un sens à cette entreprise dévastatrice. Pourtant, l’histoire de ces vingt dernières années, dans les relations bilatérales entre les Etats-Unis et la Russie, est riche d’enseignements. Elle n’est pas un arrière-plan, mais le socle même sur lequel l’Ukraine est suppliciée. Elle raconte comment les incompréhensions ont nourri une amertume, puis une hostilité. Comment Vladimir Poutine, confronté à cinq présidents américains, a conduit son pays à devenir un paria du monde.
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