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Andreï Dmitriev : « Des années de contrevérités corrosives »

L’écrivain russe Andreï Dmitriev, à Paris, en 2014. BASSO CANNARSA/OPALE.PHOTO

Cette tentative de la part de mon Etat – d’une ampleur inouïe, irrationnelle, et qui causera sa propre perte – de détruire l’Etat ukrainien n’a aucun fondement historique, stratégique, ni même pragmatique, sans parler de fondements éthiques ou simplement humains.

Il ne s’agit pas des intérêts de la Russie ou de ses dirigeants, mais d’une démarche suicidaire, d’une prise de risque mortel pour tout le monde. On est prêt à tous les sacrifices, prêt à payer n’importe quel prix… pour quoi ? au nom de quoi ?… Nous avons là un cas stupéfiant d’autosuggestion. Ce mécanisme est illustré par le grand poète russe pour enfants Korneï Tchoukovski [1882-1969] : une petite fille fait tomber une goutte d’encre sur une feuille, la dote de griffes et de dents, puis éclate en sanglots. Quand on lui demande pourquoi elle pleure, elle répond : « Cette bête méchante, c’est moi qui l’ai inventée. – Alors, pourquoi pleurer ? – J’en ai peur ! »

Ayant inventé leur propre méchante bête géopolitique, nos dirigeants, pourtant adultes, se sont mis à croire à la réalité des griffes et des dents d’un Occident imaginaire qui s’apprêterait à anéantir la Russie – sans même se demander pourquoi, s’il en est ainsi, ce même Occident avait, en 1994, demandé à l’Ukraine de faire confiance à la Russie en renonçant à son arsenal nucléaire. Ils se sont mis à croire à l’existence d’un « projet Ukraine » antirusse, en multipliant jour après jour des « preuves » diverses et variées, les unes aussi fausses que les autres. Cette propagande vénéneuse, au début destinée à la population, a fini par les empoisonner. Je ne suis pas le seul à estimer que les auteurs du mensonge en sont arrivés à le prendre eux-mêmes pour la vérité – aujourd’hui, cette hypothèse baroque est presque devenue un lieu commun.

J’en viens à penser que le mensonge à propos du Donbass, si tenace qu’aujourd’hui encore la majorité de mes compatriotes y croient, n’avait pas pour but de justifier son annexion, mais qu’il est lui-même son propre but. Autrement dit, l’annexion du Donbass doit servir le mensonge global qui vise l’anéantissement de l’Ukraine. Les années de contrevérités corrosives ont rongé la conscience de ses auteurs – ainsi, les trafiquants de drogue finissent par devenir eux-mêmes des toxicomanes.

Ils ont lancé leurs chars – et, en traversant la frontière, se sont retrouvés en pleine réalité.

« Depuis cinq jours, je n’arrive plus à écrire ni à parler, je ne vois presque personne. Je fais surgir dans ma mémoire les noms, les visages, les voix et les histoires des personnes que j’ai connues lors de mon séjour en Ukraine »

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