Depuis que la Russie a lancé l’invasion de l’Ukraine, le 24 février, l’Union européenne (UE) et ses alliés ont adopté une série de sanctions massives contre Moscou, dont les conséquences se font déjà sentir sur l’économie russe.
« Le rapport de force économique et financier est totalement en faveur de l’Union européenne qui est en train de découvrir sa puissance économique », a affirmé le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, mardi 1er mars, sur Franceinfo. Du fait de l’interdépendance entre l’UE et la Russie, les pays de l’Union sont affectés par les retombées économiques du conflit. Tour d’horizon de ces liens entre la Russie et l’UE, pour mieux comprendre les répercussions économiques de cette guerre.
Sur quoi repose l’économie russe ?
La majeure partie du produit intérieur brut (PIB) de la Russie repose sur les services, comme les secteurs bancaire et financier, les assurances ou encore les services aux entreprises, explique Julien Vercueil, professeur d’économie à l’institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), auteur d’Economie politique de la Russie – 1918-2018 (Le Seuil, 2019). « Le secteur pétro-gazier ne représente “que” 20 % du PIB », précise l’économiste. L’industrie, de manière générale, pèse pour environ un tiers de l’économie du pays, dont une grande partie des biens manufacturés sont importés, notamment d’Europe et de Chine.
La Russie est, par ailleurs, un pays très riche en ressources naturelles, qu’elle exporte également. « On y trouve tout le tableau de Mendeleïev », résume M. Vercueil. La Russie fait partie des trois premiers pays producteurs et exportateurs de pétrole. Elle dispose de 20 % des réserves mondiales de gaz, dont elle est le premier pays producteur et exportateur mondial, ainsi que d’importantes réserves de charbon. La Russie compte parmi les premiers producteurs de plusieurs métaux industriels, comme le palladium, le nickel ou encore l’aluminium. Son territoire abrite, en outre, 8 % des réserves mondiales d’uranium.
L’UE, premier fournisseur et premier client de la Russie
« En termes économiques, l’Europe, au sens large, est un marché beaucoup plus puissant que la Russie : la première représente 39 % du commerce mondial de biens et de services, la seconde seulement 2 % », souligne Deniz Unal, rédactrice en chef du Panorama du CEPII, qui affirme que l’économie russe risque davantage que l’économie européenne.
La Russie est un partenaire commercial de l’UE, mais elle est loin d’être le premier. Plus de 60 % du commerce extérieur des pays européens se fait avec d’autres pays de l’UE. Pour les échanges hors pays de l’Union, selon les chiffres de 2021, la Russie arrive en quatrième position dans le classement des pays vers lesquels l’UE exporte le plus de biens. Elle est aussi le troisième pays auquel l’UE achète le plus, mais loin derrière la Chine.
En revanche, l’UE occupe une place prépondérante dans le commerce extérieur de la Russie. Elle est le premier débouché pour les exportations russes, dont elle représente plus de 40 % en 2020 – près de la moitié en 2019, avant la crise. A titre de comparaison, la Chine, son premier client en Asie, représente 14,6 % des exportations russes. Selon le ministère des finances français, la Russie exporte ainsi environ 11 % de son PIB vers l’UE.
C’est aussi à l’Union que la Russie achète plus du tiers de ce qu’elle importe, notamment des bien manufacturés, du matériel de transport et de l’équipement industriel, ainsi que des produits chimiques et pharmaceutiques. La Chine représente, elle, près du quart des importations russes.
Gaz et pétrole : une dépendance européenne à double tranchant
Ces chiffres globaux masquent cependant des situations de forte dépendance de l’UE à la Russie. C’est notamment le cas pour l’énergie consommée dans l’Union. La Russie en est, de loin, le premier fournisseur : presque la moitié des combustibles solides (charbon, bois, etc.) achetés par l’Union vient de Russie, 41 % du gaz et 27 % du pétrole. Plus largement les trois cinquièmes de l’énergie consommée dans l’UE sont importées, ce qui rend les pays membres vulnérables à la forte hausse des prix exacerbée par le conflit, qu’ils achètent leur gaz et leur pétrole aux Russes ou non.
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Mais la Russie se trouve tout autant en situation de dépendance à l’UE. Les hydrocarbures et les produits pétroliers raffinés représentaient à eux seuls plus de 60 % des exportations russes en 2019, dont presque la moitié à destination de l’UE, principal client de Moscou pour le gaz. « La Russie a diversifié ses débouchés, elle a notamment signé un gros contrat d’approvisionnement de gaz avec la Chine, explique Julien Vercueil. Mais les quantités livrées sont sans commune mesure avec celles vendues à l’Europe, où se situe l’essentiel du réseau de gazoducs russes. Il faudra beaucoup de temps avant que la Chine puisse se substituer à l’Union européenne en la matière. »
Titane, palladium… les métaux russes indispensables à l’aéronautique et à l’automobile
Certains secteurs industriels européens s’avèrent aussi largement dépendants de la Russie – ou de l’Ukraine – pour leur approvisionnement en matières premières. C’est le cas de l’aéronautique, dont la Russie est le premier fournisseur de titane. Utilisé par les avionneurs pour sa légèreté et sa très haute résistance, ce métal est utilisé pour fabriquer des pièces de moteurs ou de fuselage, par exemple. Le groupe russe VSMPO-Avisma fournit au français Safran la moitié de son titane, et autant à Airbus, selon La Tribune. La tension est d’autant plus vive que les deux minerais nécessaires à la fabrication d’éponge de titane sont majoritairement importés par la Russie depuis l’Ukraine.
Le secteur automobile a, lui, besoin de palladium (aussi très utilisé dans l’industrie électronique) pour fabriquer des pots catalytiques, qui permettent de réduire la pollution qui émane des pots d’échappement. Or la Russie contrôle la moitié du marché mondial de ce métal.
Pour d’autres métaux, comme le nickel, très demandé dans les usines de batteries électriques du monde entier, ou l’aluminium, la dépendance de l’UE à la Russie est moins prégnante. Cependant, le pays en étant l’un des principaux producteurs, les cours de ces métaux en Bourse ont considérablement augmenté en quelques jours et affectent les industries européennes qui en dépendent.
Dans l’agriculture, crainte pour les engrais et les prix des céréales
La Russie et l’Ukraine jouent un rôle majeur sur le marché mondial des céréales. La Russie est le premier producteur mondial de blé depuis 2018 ; l’Ukraine est le quatrième exportateur mondial de maïs, en passe de devenir le troisième exportateur de blé. Depuis le début de l’offensive russe, les cours de ces céréales en Bourse ont donc flambé.
L’inquiétude en Europe est cependant limitée sur ce point. La Russie a acheté, en 2021, environ 4 % des exportations agricoles de l’UE, mais importe beaucoup moins de produits alimentaires européens depuis l’embargo de 2014. De son côté, l’Union produit presque tous ses stocks de blé – la France dispose même d’excédents –, et n’importe qu’un peu plus de 7 % des céréales qu’elle consomme. En revanche, elle achète à des pays tiers près de 18 % de ses stocks de maïs, dont la moitié vient d’Ukraine, où les exportations sont bloquées. Et même si les acheteurs européens ne dépendent pas directement de Kiev et de Moscou, ils subissent néanmoins la hausse généralisée des prix sur les marchés mondiaux.
L’attention du monde agricole se porte surtout sur les engrais azotés – fabriqués avec du gaz. Selon Eric Thirouin, président de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), l’UE importerait 30 % de ses engrais depuis la Russie. Le conflit provoque une hausse des prix, voire des ruptures de stocks, qui touchent directement les agriculteurs européens.
L’Ukraine et la Russie sont, par ailleurs, les premiers pays producteurs de tournesol, vendu sous forme de graines, ou transformé en nourriture pour les animaux d’élevage ou en huile. Or l’Ukraine est, de loin, le principal fournisseur d’huile et de tourteaux (aggloméré pour les animaux d’élevage) de tournesol, que l’Union importe à presque 40 % dans le premier cas, un tiers dans le second. Le monde agricole redoute ainsi la hausse générale des prix de l’alimentation animale (le blé étant aussi acheté à cette fin par les éleveurs), qui pèserait lourd sur des filières déjà fragiles et se répercuterait, in fine, sur les prix à la consommation.
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