Au début des années 2000, la compréhension des sciences modernes hors de l’Europe était encore associée au modèle centre-périphéries du champ de recherche « sciences et empires » : l’Europe aurait imposé les sciences modernes au reste du monde, dans le sillage d’une mondialisation impériale de la révolution scientifique. Ce grand récit de la domination s’appuyait aussi bien sur les pratiques de collecte du monde naturel à travers la thèse de la « machine coloniale » (François Regourd et James McClellan) que sur la standardisation des normes scientifiques à l’échelle internationale (Simon Schaffer).
Dans Science moderne, science globale. Circulation et construction des savoirs entre Asie du Sud et Europe (1650-1900), initialement publié en anglais en 2006 et qui a été traduit chez Brepols (2021), Kapil Raj (EHESS) se propose de renverser la perspective et de « relocaliser les sciences modernes » en Inde. L’auteur revisite une série de « zones de contact » entre savants indiens et occidentaux, afin de décentrer la problématique de la « science coloniale ».
La découverte d’un codex longtemps égaré et aujourd’hui conservé à la bibliothèque du Muséum national d’histoire naturelle, celui d’un chirurgien de Chandernagor, Nicolas L’Empereur, donne ainsi l’occasion de comprendre concrètement ces interactions. L’herbier de L’Empereur, en 14 volumes in-folio, s’inscrit dans une volonté de constituer une bibliothèque médicale, à l’instar des Hollandais de la Compagnie des Indes, pour mieux lutter contre les maladies tropicales qui touchent les Européens sur place. Ce savoir s’élabore auprès des fakirs, et s’enracine dans de nombreuses traditions d’herbiers locaux.
Intermédiaires des savoirs
Kapil Raj s’intéresse aussi à la cartographie de l’Inde par les Britanniques, savoir stratégique si l’en est, car identifié dans l’historiographie comme un produit d’exportation occidental. Il montre comment, entre 1764 et 1880, les entreprises de cartographie de l’est de l’Inde (cadastres, cartes, atlas, etc.) sont le fruit d’interactions et de rencontres entre diverses pratiques indiennes et britanniques. Ni l’arpentage, ni la quantification, ni la mesure, ne relèvent d’une science occidentale ou de la révolution scientifique, mais ont leur équivalent asiatique. Plus encore, William Jones, juge de la Cour suprême de Calcutta et président de l’Asiatic Society, inspiré par un esprit encyclopédique et baconien, entreprend de totaliser l’ensemble des savoirs asiatiques, mais en omettant de mentionner les médiations locales qui lui ont permis une si vaste opération de collecte et de synthèse.
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