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Islamophobie : quand de jeunes diplômés musulmans français choisissent le chemin de l’exil

Publié le : 23/02/2022 – 12:16

Le 13 février, le New York Times publiait un article sur le départ de jeunes diplômés musulmans français à l’étranger en raison de discriminations et du climat antimusulman. Un phénomène que le quotidien américain estime peu abordé dans l’Hexagone à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Pour le New York Times, les politiques et les médias français passent le sujet sous silence, en pleine campagne électorale. Dans un article publié dimanche 13 février et intitulé « le départ en sourdine des musulmans de France », le quotidien américain s’interroge sur l’expatriation de jeunes diplômés musulmans français.

Discriminations, sentiment d’insécurité ou de « non-appartenance » : le journal liste une partie des raisons de ce qu’il présente comme une « fuite des cerveaux » de personnes qui pourraient pourtant « servir de modèles d’intégration ».

Si aucune donnée ne permet de préciser l’ampleur de ce départ, le sociologue Julien Talpin, qui a coréalisé une enquête sur les émigrés musulmans, confirme la réalité décrite par l’article du New York Times. « Il est difficile de savoir si l’on parle de dizaines de milliers de personnes qui auraient quitté le territoire ou juste de quelques milliers, mais ce n’est pas anecdotique », a estimé, le 16 février sur RFI, le chargé de recherche au CNRS.

Selon Jérémy Mandin, chercheur à l’université de Liège également interrogé sur RFI, le climat lié au contexte terroriste en France apparaît comme un élément majeur dans la prise de décision de partir, alors que les chiffres des actes antimusulmans ont fortement augmenté ces dernières années. La hausse la plus notable – une multiplication par trois – s’est produite en 2015, l’année où les attentats islamistes ont endeuillé la France. À l’époque, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme avait notamment relevé une forte augmentation des actes et des menaces contre les musulmans après les attaques, aux mois de janvier et de novembre.

Un climat politico-médiatique « étouffant »

Pour Julien Talpin, le départ de Français musulmans s’explique avant tout par un climat « étouffant » – un terme qui est revenu plusieurs fois lors de 150 entretiens approfondis menés par le chercheur. Les nombreux débats dans les médias sur l’islam et les musulmans nourrissent ce sentiment, note l’expert.

C’est ce que met en avant Nadia, chargée de ressources humaines de 32 ans, qui a décidé de quitter la région parisienne en 2020 et de s’installer à Londres. « L’élément déclencheur de mon départ a été un discours du président Emmanuel Macron, témoigne-t-elle auprès de France 24. L’ambiance était vraiment pesante en France pour les musulmans. Et ça continue aujourd’hui avec la campagne présidentielle. »

Envisageant de s’expatrier, Réda, étudiant de 24 ans en informatique interrogé par France 24, insiste également sur la récurrence, dans les médias, des thématiques autour de l’islam, notamment celle du port du voile dans l’espace public. « Chaque jour, sur au moins une chaîne de télévision, il y a un débat sur l’islam », constate le jeune homme, tout en remarquant l’absence régulière de musulmans sur les plateaux. « Quand je vois tous ces débats, ça m’exaspère parce que dans la plupart d’entre eux, il n’y a aucun musulman », ajoute-t-il.

Étudiante de 23 ans de confession musulmane, songeant elle aussi au départ, Nada exprime pour sa part le besoin régulier de se couper des chaînes d’information et des réseaux sociaux. « Quand les médias parlent de toi tous les jours, tu ne peux pas prétendre que ça ne t’atteint pas. Il faut savoir faire une pause, arrêter d’écouter la radio et quitter Twitter pendant quelques jours, le temps que la tempête passe. Il faut savoir se mettre à distance pour notre propre bien », explique la jeune femme.

Si elle n’a pas encore franchi le cap, la jeune étudiante réfléchit à une éventuelle expatriation, poussée par ses parents. « Si je devais partir, le pays idéal serait pour moi le Canada. Ou l’Angleterre, pour rester proche de ma famille. J’ai l’impression que ce sont des pays où tu comptes pour ce que tu fais et non pas pour ce que tu es. En tout cas, on ne te juge pas pour ce que tu es », estime-t-elle.

« Les élections, c’est le moment où ça tape le plus contre nous »

Pour les personnes interrogées, la proximité de l’élection présidentielle, qui doit se dérouler les 10 et 24 avril prochains, contribue au climat hostile aux musulmans. « Nous sommes dans un contexte particulier, celui de la campagne électorale, où certains sujets sont particulièrement plébiscités par les candidats, comme celui de l’islam, souligne de son côté Mihaela-Alexandra Tudor, maîtresse de conférences à l’Université Paul Valéry de Montpellier et chercheuse en communication publique et politique. Certaines notions comme le ‘grand remplacement’ créent beaucoup de polémiques. »

« On sait que les élections, c’est le moment où ça tape le plus contre nous », estime Nada. « Je ne me reconnais pas du tout dans les mouvements politiques actuels. Je ne fais pas confiance à la gauche, car une grande partie de cette gauche réfute le terme d’islamophobie », ajoute l’étudiante.

>> À voir : « Le voile en question : une obsession française ? »

Depuis Londres, Nadia, la chargée de ressources humaines, n’écarte pas de son côté la possibilité de revenir, un jour, dans son pays. « J’ose espérer que dans quelques années, la France sera davantage ouverte au multiculturalisme et reconnaîtra la diversité de sa population. Si, demain, les femmes voilées étaient acceptées dans les entreprises, s’il n’y avait plus cette peur autour de l’islam, si on ne fermait plus régulièrement des mosquées, bien sûr que je reviendrais. »

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