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ReportageA Kharkiv, des déplacés des provinces séparatistes redoutent de tout perdre à nouveau et s’inquiètent pour leurs proches restés sur place, sommés d’évacuer.
Quand elle a fui sa maison en 2014, une nuit d’été, les bombardements étaient si nombreux qu’elle y voyait comme en plein jour. « Ça faisait comme des étincelles autour de nous », se souvient Lioudmyla Bobova. Cette Ukrainienne de 59 ans vivait à Louhansk, dans le Donbass, lorsque la guerre a éclaté avec les séparatistes prorusses, soutenus en sous-main par Moscou. Elle avait trouvé refuge à Kharkiv, la deuxième ville de l’Ukraine, à l’est, à 30 km de la frontière russe. Huit ans plus tard, elle vit toujours dans le lotissement de préfabriqués que l’Allemagne avait financé pour héberger temporairement les déplacés. La « cité des modules », son drôle de nom, compte aujourd’hui 176 personnes, pour une capacité de 500 places. En ce samedi de février, quelques vêtements sèchent sur une corde à linge, près des jeux pour enfants, au milieu d’allées désertes.
Depuis l’annexion de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass, en 2014, la région de Kharkiv, à moins de 100 km de la ligne de front, a accueilli plus de 135 000 déplacés sur le 1,5 million que compte le pays, selon les Nations unies (ONU).
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La plupart se sont intégrés. Seuls les plus démunis bénéficient encore d’une aide de l’Etat – soit 1 000 hryvnias par mois (31 euros). « Mon rêve, c’est d’avoir un jour mon propre logement, et que je puisse l’aménager comme je veux, confie Lioudmyla, aux longs cheveux blancs. Mais on ne sait pas ce qui va se passer demain, ni même dans une heure, donc c’est difficile de se projeter. On mène une vie sur les valises, comme on dit chez nous. »
Dialogue de sourds
L’incertitude s’est encore renforcée ces dernières semaines face à la menace d’une invasion de la Russie, dont plus de 150 000 soldats encerclent l’Ukraine. Rivée aux informations, Lioudmyla sait que de nombreux chars russes ont été déployés non loin de Kharkiv, dans les villes de Belgorod et Voronej, de l’autre côté de la frontière.
Plus la menace se rapproche, plus elle a l’impression d’étouffer. « Ça me rappelle de mauvais souvenirs. Je ne veux pas la guerre. Je ne veux pas la guerre », répète-t-elle, bien droite sur sa chaise. Avec l’aggravation de la crise, ces derniers jours, elle éprouve de nouveau cette sensation pénible qui l’avait étreinte, huit ans plus tôt. « La peur. Quand tes genoux tremblent et que tu n’arrives pas à les contrôler. » Elle a pensé à faire sa valise en cas d’urgence, mais s’y refuse encore, de crainte « d’attirer le malheur ».
Des photos de famille sur le frigo d’une famille de déplacés, dans le centre d’hébergement de Kharkiv, en Ukraine, le 19 février 2022. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE » Originaire de Molodohvardiis’k dans la région de Louhansk, au Donbass, Lioudmyla Bobova pose devant les préfabriqués du centre d’hébergement où elle vit depuis 2015, à Kharkiv, en Ukraine, le 19 février 2022. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »
De tout cela, elle parle peu avec les autres déplacés. « Comme nos destins sont similaires, on croit souvent que les familles sont proches les unes des autres, mais ce n’est pas le cas. Nous sommes très différents. » Entre voisins, on préfère s’échanger des banalités, évoquer l’autre crise qui frappe durement l’Ukraine – le Covid-19 –, ou la future transformation du lotissement en véritable quartier, promise en janvier par les autorités.
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