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Crise ukrainienne : en ligne, la guerre de la désinformation bat son plein

Alors que les tensions diplomatiques s’intensifient entre la Russie et l’Ukraine après la signature de l’acte de reconnaissance, lundi 21 février, des deux républiques séparatistes du Donbass par le président russe Vladimir Poutine, la désinformation bat son plein en ligne.

La crainte d’une invasion de l’Ukraine est agitée depuis plusieurs jours par les chancelleries occidentales, mais l’invasion d’intox, elle, a déjà commencé sur les réseaux sociaux, entre erreurs de bonne foi, imprécisions suspectes et volonté manifeste de berner l’opinion publique.

Le contexte est extrêmement tendu. Les médias d’Etat russes comme Sputnik accusent les médias occidentaux de « fake news », notamment à propos du supposé plan russe d’invasion de l’Ukraine, qui devait survenir le 16 février. De son côté, l’Union européenne s’est inquiétée « au plus haut point que des événements mis en scène puissent servir de prétexte à une possible escalade militaire », a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, le 19 février. « Elle observe une intensification des efforts de manipulation de l’information. »

Les Décodeurs ont répertorié plusieurs exemples de contre-vérités récentes.

Une vidéo d’un supposé sabotage chimique

Une vidéo de coups de feu exploitée par les médias russes présente des bruits d’explosion qui ont été ajoutés, laissant croire à un attentat. CAPTURE D’ÉCRAN

LES BRUITS D’EXPLOSION PROVIENNENT D’UNE AUTRE VIDÉO

Des réservoirs de chlore dans la république populaire du Donetsk ont fait l’objet d’une opération de sabotage par des soldats parlant polonais, a affirmé sur Telegram le service de presse de la région séparatiste prorusse, extrait d’une vidéo à l’appui. Celle-ci montre des échanges de tirs et des explosions dans ce qui semble être une forêt du nord-est de l’Europe au petit matin, vus au niveau d’un soldat au sol.

La vidéo a été reprise par la première chaîne d’Etat russe Perviy Kanal, et présentée comme émanant d’un « saboteur ukrainien blessé » qui planifiait un attentat chimique. La voix off rapporte « l’explosion d’un conteneur d’une substance toxique », sons d’explosions à l’appui.

Ladite vidéo a fait l’objet d’une analyse détaillée, relatée par Eliot Higgins, fondateur du site de journalisme d’investigation en ligne Bellingcat. Il apparaît que celle-ci a été en partie manipulée de manière à y ajouter des bruits d’explosion. Ceux-ci correspondent, légèrement retouchés, à un extrait d’une vieille vidéo d’entraînement militaire de l’armée finlandaise, en 2010.

Une photo truquée pour expliquer le trou dans le mur d’une école

Cette photo virale montrant un trou dans la façade d’une école maternelle ukrainienne n’est pas authentique : le véhicule de chantier y a été ajouté. CAPTURE D’ÉCRAN

L’APPAREIL DE CHANTIER A ÉTÉ AJOUTÉ SUR PHOTOSHOP

Depuis le 17 février, une école maternelle de Stanytsia Luhanska, à la frontière du Donbass, a fait l’objet de reportages de nombreux médias occidentaux, de France 24 à CNN en passant par l’Agence France-Presse (AFP), depuis qu’un projectile a traversé sa façade. Ukrainiens et forces séparatistes s’accusent mutuellement de l’attaque, qui aurait fait trois blessés parmi le personnel encadrant, aucun chez les enfants.

Cet impact balistique est présenté comme une mise en scène par certains. A l’appui de ces théories, une photo virale montrant ce qui est présenté comme l’extérieur de l’école maternelle, un trou, et un véhicule de chantier doté d’une perceuse pneumatique : il s’agirait de la preuve que les dégâts n’ont pas été causés par une attaque militaire, mais réalisés avec ce matériel.

Ladite photo est en réalité un photomontage. L’image d’origine a été trafiquée sur Photoshop, un outil de retouche d’image, reconnaît volontiers son auteur, ce que confirme une analyse avec des outils de détection d’anomalie, comme InVID Forensic. L’internaute à son origine a utilisé une capture d’une vidéo prise aux abords de l’école maternelle, et y a ajouté un véhicule de chantier.

Dans un échange sur Twitter, il partage un montage similaire, mais avec le véhicule positionné en sens inverse. Ce qui n’empêche pas son bidouillage d’abondamment circuler sur les réseaux sociaux, pris au premier degré comme une preuve de mise en scène.

De nouveaux comptes suspects associés à l’armée ukrainienne

De faux comptes attribués à l’armée ukrainienne sont apparus en février, vite suivis par de nombreux abonnés. Supprimés par Twitter, ils montrent un des modes opératoires de la désinformation. CAPTURE D’ÉCRAN

ILS NE CORRESPONDENT PAS AU COMPTE OFFICIEL

Plusieurs comptes intitulés en anglais « Forces armées de l’Ukraine », comme @ArmedForcesUA et @UAArmedForces, sont apparus en février sur Twitter.

Il s’agit de faux comptes, comme l’a remarqué Jonathan Abolins, analyste pour le gouvernement américain. Le compte officiel de l’armée ukrainienne est @ArmedForcesUkr.

Après avoir rassemblé plusieurs centaines d’abonnés en quelques jours, ces deux comptes ont été supprimés par Twitter, ce qui n’exclut pas que d’autres apparaissent.

Une photo faisant croire à tort qu’elle montre une Ukrainienne en arme

Cette photo, utilisée pour montrer des Ukrainiens armés, est en réalité un mème russe de 2020. CAPTURE D’ÉCRAN

IL S’AGIT D’UNE RUSSE PRISE EN PHOTO EN 2020

« La vie en Ukraine, en ce moment ». Telle est la légende, en anglais, qui accompagne le tweet de Terror Alarm, un compte de suivi de l’actualité militaire et terroriste établi à Jérusalem. En photo, une femme portant un fusil AK-47 dans un bus. Sauf qu’elle ne montre pas ce qu’elle semble montrer.

Comme l’a relevé la cellule de vérification de France 24, la photo ne date pas de 2022, et n’a pas été prise en Ukraine. Elle a été prise dans un bus, le 27 mars 2020, en Sibérie, et montre Ekaterina Gladkikh, une Russe habituée à se mettre en scène pour son compte Instagram. Il s’agissait d’une fausse arme, explique-t-elle à France 24.

Ce n’est pas la première fois que ce cliché est détourné. En avril 2020, il avait été interprété par erreur comme une photo d’une « fille en Biélorussie dans un train » sur le forum anglophone Reddit. Durant le confinement russe en mars-avril 2020, elle circulait également, sous forme humoristique, associée à la légende « Et qu’achèterez-vous d’abord avant la fin du monde ? » – sous-entendu, des armes.

Aux Etats-Unis, une capture d’écran de CNN manipulée

Cette légende sarcastique, montrant Poutine prêt à attendre que les Américains envoient des armes à l’Ukraine pour l’envahir, est un faux venu des soutiens de Trump. CAPTURE D’ÉCRAN

UN DÉTOURNEMENT D’UNE ALLOCUTION DE 2017

Certains détournements se veulent sarcastiques. Aux Etats-Unis, un des leaders de l’alt-right, ce mouvement néoconservateur d’extrême droite, désormais nostalgique des années Trump, a fait circuler une capture d’écran montrant Poutine sur CNN.

En guise de bandeau, « Poutine repousse l’invasion de l’Ukraine jusqu’à ce que Biden envoie des armes à l’Ukraine afin de les saisir. »

Comme le relèvent Reuters, CheckYourFact ou encore AP News, l’image date en réalité du 30 mars 2017, et le bandeau disait « Poutine : Lisez sur mes lèvres : non, nous n’avons pas interféré dans les élections [américaines de 2016]” »

Source

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