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Crise ukrainienne : Donbass, accords de Minsk, « finlandisation »… Les mots pour comprendre

Des soldats ukrainiens patrouillent sur la ligne de front près du village de Novolouhanske, dans l’est de l’Ukraine, le 19 février 2022. ARIS MESSINIS / AFP

Après des mois de tensions autour de l’Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine, a choisi, lundi 22 février, de passer à l’offensive. Le chef du Kremlin a clos la séquence diplomatique en signant l’acte de reconnaissance des deux territoires séparatistes faisant partie de la région du Donbass – la « république populaire de Louhansk » et la « république populaire de Donetsk » – et a annoncé qu’il envoyait son armée en appui.

Quelles sont les origines du conflit russo-ukrainien ? Quelles sont les exigences de Moscou ? Comment les Européens et les Etats-Unis réagissent-ils ? Quelles sont les solutions diplomatiques qui ont été mises sur la table ? Le Monde vous propose un lexique pour tout comprendre à la crise ukrainienne.

Donbass, Donetsk, Louhansk

Le Donbass est une région ukrainienne située dans l’est du pays, à la frontière avec la Russie. Il s’agit d’un vaste bassin minier et industriel de plus de 60 000 kilomètres carrés (à peu près l’équivalent de deux fois la superficie de la Belgique). Administrativement, le Donbass est composé des oblasts (régions administratives) de Donetsk et Louhansk.

Depuis le renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, en février 2014, le Donbass est au centre d’un conflit armé entre des séparatistes prorusses soutenus par Moscou et le nouveau régime ukrainien. Les séparatistes ont autoproclamé une partie de ces territoires « républiques populaires » de Donetsk et Louhansk et contrôlent, de fait, une partie du Donbass.

Lundi 21 février, Vladimir Poutine a décidé de reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes et a aussitôt ordonné à l’armée russe d’y « maintenir la paix ». Aucun calendrier ni l’ampleur de ce déploiement n’ont été annoncés, mais la Russie dispose de plus de 150 000 hommes à la frontière avec l’Ukraine, selon les Etats-Unis. Le chef du Kremlin est le tout premier dirigeant à reconnaître ces « républiques populaires ».

Cette mesure signe la fin des accords de Minsk, un processus de paix sous médiation franco-allemande qui, bien que régulièrement violé, avait permis de faire cesser les affrontements les plus violents entre belligérants. En huit ans, cette guerre a fait plus de 14 000 morts.

Ce sont des accords signés en 2014 (Minsk I), puis en 2015 (Minsk II), à Minsk, la capitale biélorusse, entre l’Ukraine et les séparatistes prorusses pour mettre fin à un conflit ravageant l’est du pays depuis dix mois, créant l’espoir d’un règlement pacifique et politique de la situation.

Ces accords comprenaient treize points : en plus du cessez-le-feu, ils convenaient du retrait des armes lourdes, d’amnistie pour les participants au conflit et de l’échange des prisonniers et otages. Les accords prévoyaient également une réforme constitutionnelle de l’Ukraine, ainsi que l’organisation d’élections dans les territoires tenus par les séparatistes. Ils posaient également comme principe le maintien des territoires autoproclamés autonomes de Louhansk et de Donetsk dans le giron de l’Ukraine.

Ces accords étaient globalement favorables à la Russie et plaçaient l’Ukraine sous une pression permanente, mais de nombreux points n’ont jamais été suivis d’effet. Depuis les annonces de Vladimir Poutine, lundi 21 février, ils sont considérés comme « morts et enterrés », notait notre correspondant à Moscou, Benoît Vitkine, quelques heures après l’intervention du président russe.

Il s’agit de rencontres diplomatiques à quatre entre les dirigeants ukrainien et russe, sous le parrainage de la France et de l’Allemagne. La référence à la Normandie vient d’une rencontre informelle entre Petro Porochenko (alors président de l’Ukraine), Vladimir Poutine, François Hollande et Angela Merkel au château de Bénouville (Calvados), ayant eu lieu en marge des célébrations des 70 ans du Débarquement, le 6 juin 2014, alors que la guerre du Donbass avait éclaté quelques mois plus tôt.

Trois semaines plus tard, une journaliste américaine évoquait cette réunion lors d’une conférence de presse en employant le terme Model Normandy (« format Normandie »), faisant passer cette expression à la postérité.

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) est une alliance politico-militaire créée en 1949 par douze pays – dont le Canada, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. L’Alliance atlantique (autre nom donné à l’OTAN) compte aujourd’hui trente pays. Toutes les décisions de l’OTAN sont prises à l’unanimité.

Les membres de l’OTAN s’engagent à se protéger mutuellement en cas d’attaque contre un membre de l’Alliance. C’est ce qu’on appelle le principe de la défense collective, consacré dans l’article 5 du traité de Washington. Cet article a été invoqué pour la première fois en 2001 en réponse aux attentats du 11-Septembre contre les Etats-Unis.

« La mission principale et historique de l’OTAN, qui n’a jamais totalement disparu, est la défense de l’Europe en pleine guerre froide vis-à-vis de la menace de l’URSS », explique au Monde Edouard Simon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des questions de sécurité et de défense européennes. Directement visée par cet objectif, la Russie considère que l’OTAN, qui n’a cessé de s’élargir ces trente dernières années, représente une menace.

Jusqu’à présent, il y a un consensus entre les membres de l’OTAN pour ne pas intégrer l’Ukraine afin de pas froisser Moscou – en dépit des promesses qui avaient été faites à Kiev en 2008. Mais, pour la Russie, ce n’est visiblement plus suffisant. Vladimir Poutine répète depuis plusieurs semaines ses exigences à l’égard de l’Occident : la fin de la politique d’élargissement de l’OTAN, l’absence de déploiement militaire menaçant la Russie et le retrait des infrastructures militaires de l’Alliance d’Europe de l’Est. Celles-ci ont été rejetées.

A la sortie de la seconde guerre mondiale, au cours de laquelle la Finlande, alliée de l’Allemagne nazie, avait combattu la Russie, les deux pays avaient signé un armistice en septembre 1944 avant de signer un accord de paix, en 1947. Si elle reste officiellement indépendante, la Finlande aligne sa politique extérieure sur celle de la Russie et est soumise à une neutralité stricte. Elle n’a pas le droit d’adhérer à l’OTAN ni de rejoindre l’Union européenne (UE), pendant toute la durée de la guerre froide. Avec le temps, cette « finlandisation » est devenue synonyme de « neutralité contrainte » ou de « souveraineté limitée », écrit le journaliste au Monde Marc Semo.

Après la guerre froide, la fin de l’URSS et l’effondrement du bloc soviétique, la Finlande a adhéré à l’UE en 1995. Elle est également un partenaire de l’OTAN, sans être membre de l’Alliance atlantique. Quant à la « finlandisation », le terme a été réutilisé à de nombreuses reprises ces dernières semaines lorsque le futur de l’Ukraine était évoqué.

L’Ukraine ne faisant pas partie de l’OTAN, une intervention directe des membres de l’Alliance atlantique n’est pas envisageable. Concrètement, plusieurs pays fournissent du matériel militaire à Kiev, mais aucun n’enverra de troupes combattre sur son sol. Après la décision de Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des territoires séparatistes prorusses, l’UE et les Etats-Unis ont donc annoncé ou promis de lourdes sanctions économiques contre la Russie.

Côté européen, ces sanctions devraient plutôt, selon l’Elysée, toucher « des individus et des entités russes », ainsi que des activités « localisées dans le Donbass et très certainement liées aux intérêts russes ». Le train de sanctions sera ensuite adapté en fonction des événements.

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a dit, mardi 22 février, espérer des sanctions européennes « massives et robustes ». Le Royaume-Uni, centre financier essentiel aux milieux d’affaires russes, a pour sa part promis de « frapper la Russie très fort » avec « une première série » de sanctions. « Nous ferons bien plus en cas d’invasion », a prévenu le premier ministre britannique, Boris Johnson. De son côté, le président des Etats-Unis, Joe Biden, a publié un décret interdisant tout nouvel investissement, échange ou financement par des Américains à destination, en provenance ou dans les régions séparatistes.

Ces sanctions peuvent-elles faire fléchir Vladimir Poutine ? « Certainement pas », répond le journaliste au Monde Benoît Vitkine. Elles peuvent, en revanche, « éprouver les oligarques, mais pas au point de provoquer quoi que ce soit en Russie ». Il ajoute : « Les Russes sont pauvres, mais les coffres de l’Etat sont pleins. Depuis dix ans que le niveau de vie baisse dans le pays, les réserves s’accumulent, elles sont immenses et elles permettent de voir venir. C’est un peu comme si Moscou se préparait de longue date à cette confrontation dure. »

En représailles, Olaf Scholz a annoncé, le 22 février, suspendre l’autorisation de Nord Stream 2. Achevé en novembre 2021, ce gazoduc, qui doit acheminer du gaz russe en Allemagne via la mer Baltique, n’a pas encore été mis en service. Ce dossier empoisonne la vie des Européens depuis longtemps même si, formellement, il s’agit d’un projet commercial qui n’a, à aucun moment, été soumis aux Vingt-Sept. Le sujet revient néanmoins régulièrement dans les discussions entre les Etats membres de l’UE, dès lors qu’ils abordent leurs relations avec la Russie ou les prix de l’énergie.

L’Allemagne a toujours soutenu le projet, même quand les tensions avec Moscou étaient à leur comble. La Pologne, a contrario, n’a jamais caché son hostilité à Nord Stream 2, arguant qu’il allait encore augmenter la dépendance des Européens au gaz russe – il doit acheminer 55 milliards de mètres cubes de gaz par an – et qu’il sacrifiait les intérêts ukrainiens. Tout comme les Etats baltes, la Slovaquie ou le Danemark. La France, pour sa part, se situe dans une position intermédiaire, Emmanuel Macron ayant fait part de ses « réserves ».

Nord Stream 2 était jusqu’à présent en attente d’une certification par le régulateur de l’énergie en Allemagne, en raison du non-respect de certaines dispositions aux législations allemande et européenne. Berlin franchit aujourd’hui un pas supplémentaire en suspendant la procédure et en réexaminant le dossier à la lumière des derniers développements dans l’est de l’Ukraine.

L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie

La Russie est déjà intervenue pour soutenir des velléités indépendantes dans des pays issus de l’ancien bloc communiste. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie sont deux territoires situés dans le nord de la Géorgie, à la frontière avec la Russie (l’Ossétie du Nord se trouve d’ailleurs en Russie), qui ont proclamé leur indépendance, respectivement en 1992 et 1993, et qui ont depuis été reconnus par la Russie. L’Ossétie du Sud aspirait à l’autonomie depuis 1989, juste après la chute du mur de Berlin. Un premier cessez-le-feu avait été signé entre les séparatistes et le pouvoir géorgien en 1992, après une intervention de la Russie aux côtés des Ossètes du Sud.

En 2008, un nouveau conflit éclate entre la Géorgie et les séparatistes. L’Abkhazie finit, elle aussi, par être impliquée. Soutenues par les Russes, les deux régions repoussent les forces géorgiennes et reprennent le contrôle de leur territoire. Elles ont été reconnues par Moscou, après le cessez-le-feu, alors que la Géorgie dénonçait « une annexion flagrante de ces territoires, qui font partie de la Géorgie ». La Géorgie a alors perdu 20 % de son territoire. L’armée russe est toujours présente dans ces deux régions depuis.

Bordée par la mer Noire, la Crimée est une péninsule de près de 27 000 kilomètres carrés située au sud de l’Ukraine. Comme dans le Donbass, la chute du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, en février 2014, exacerbe les tendances séparatistes prorusses en Crimée. La remise en cause de la langue russe par le nouveau pouvoir ukrainien achève de rompre un équilibre déjà précaire. La Crimée annonce qu’elle refuse de reconnaître les nouvelles autorités provisoires.

Le 16 mars 2014, la Crimée vote à plus de 96 % en faveur de son rattachement à la Russie (le scrutin est boycotté par les pro-Ukraine). Ce référendum, organisé en dix jours par des autorités régionales mises au pouvoir par l’armée occupante russe, est rejeté par la communauté internationale, qui dénonce une annexion pure et simple.

La Crimée proclame son indépendance le 11 mars 2014. Une semaine plus tard, les dirigeants de la nouvelle république de Crimée et Vladimir Poutine signent un accord entérinant son rattachement à la Russie. Dans la foulée, l’UE et les Etats-Unis adoptent une série de sanctions visant plusieurs responsables russes.

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