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Credit Suisse : de l’Egypte au Pakistan, la banque des espions

Par Le Monde

Publié aujourd’hui à 06h00

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Enquête« Suisse Secrets » | L’établissement a hébergé une quarantaine de comptes pour des hauts gradés de services de renseignement à travers le monde, malgré l’origine opaque des fonds.

Un maître espion est-il un client comme les autres ? Telle est la question qui s’est assurément posée aux employés de Credit Suisse au moment d’ouvrir un compte au nom d’Omar Souleiman, en 1996. A l’époque, ce militaire dirigeait déjà le puissant service de renseignement égyptien, bras armé du régime d’Hosni Moubarak. Son implication personnelle dans la torture d’individus pour le compte de la CIA, dans le cadre de la « guerre contre la terreur » américaine, n’avait certes pas encore été rendue publique. Mais la présence de ce chef espion parmi les clients de Credit Suisse, révélée par l’enquête « Suisse Secrets », a de quoi interpeller, au regard des montants que ce fonctionnaire et sa famille ont fait fructifier dans l’établissement suisse : jusqu’à 64 millions de francs suisses (39 millions d’euros), en 2007.

L’Egyptien n’est que l’un des nombreux espions identifiés par le consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) dans le portefeuille des clients de Credit Suisse. Les données bancaires confidentielles obtenues par le Süddeutsche Zeitung dans le cadre de l’enquête « Suisse Secrets » révèlent l’existence d’une quarantaine de comptes ouverts au fil des ans par des hauts gradés de services de renseignement à travers le monde, ou par des membres de leur famille.

« Suisse Secrets » est une enquête collaborative basée sur la fuite d’informations issues de plus de 18 000 comptes bancaires administrés par Credit Suisse depuis les années 1940 jusqu’à la fin des années 2010. Ces données ont été transmises par une source anonyme, il y a un peu plus d’un an, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, qui les a partagées avec quarante-sept médias internationaux, dont Le Monde et le consortium d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project ou OCCRP.

Ces données ont été passées au peigne fin par 152 journalistes issus de trente-neuf pays. Ceux-ci ont, en outre, interrogé d’anciens responsables de la banque, ainsi que des régulateurs et des magistrats anticorruption, et analysé de multiples dossiers judiciaires et déclarations financières. La personne à l’origine de cette fuite a tenu à conserver l’anonymat, mais a accepté d’expliquer sa motivation : dénoncer les effets du secret bancaire suisse sur la communauté internationale. Selon cette source anonyme, « le prétexte de la protection de la confidentialité financière n’est qu’une feuille de vigne couvrant le rôle honteux des banques suisses en tant que collaboratrices des fraudeurs fiscaux ».

Credit Suisse a ainsi offert ses services à un autre allié-clé des Etats-Unis : Sa’ad Khair, qui dirigea les services de renseignement jordaniens entre 2000 et 2005. Connu pour avoir inspiré un protagoniste dans le film de Ridley Scott Mensonges d’Etat (2008), cet homme a également été accusé par des ONG d’avoir joué un rôle de premier plan dans les dérives de la « guerre contre la terreur » menée par la Jordanie pour le compte des Américains. Son compte en Suisse, ouvert en 2003, a détenu jusqu’à 28,3 millions de francs suisses (18 millions d’euros) en 2006, avant d’être fermé, peu après sa mort, en 2009. L’année de l’ouverture du compte correspond à celle de la mise en place d’un trafic de pétrole de contrebande entre l’Irak et la Jordanie sous la supervision de Sa’ad Khair. Contactée, sa veuve a expliqué n’avoir eu aucune connaissance des fonds suisses de son défunt mari.

Carrefour financier des services d’espionnage

« Suisse Secrets » révèle aussi que plusieurs millions de francs suisses ont circulé sur le compte Credit Suisse de Ghaleb Al-Qamish, qui régna pendant trois décennies sur les services de renseignement du Yémen – des sommes incompatibles avec ses revenus officiels, estimés à 5 000 dollars par mois. Lui aussi a entretenu des liens étroits avec la CIA, en collaborant à la traque des militants d’Al-Qaida responsables du bombardement du navire américain USS Cole dans le port d’Aden, en 2000.

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