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La Soudanaise Amira Osman à Khartoum, en septembre 2013. ASHRAF SHAZLY / AFP
Devant la prison pour femmes d’Omdurman, ville jumelle de Khartoum, la capitale du Soudan, un petit attroupement exigeant la libération des prisonniers politiques s’est formé en marge d’une nouvelle journée de mobilisation contre le pouvoir militaire. Ce dimanche 20 février, appuyée sur ses béquilles, Amira Osman donne de la voix. Quinze jours plus tôt, la représentante de l’initiative « Non à l’oppression des femmes », se trouvait encore de l’autre côté des hauts murs de briques surmontés de barbelés.
Le samedi 22 janvier, elle était dans sa salle de bain lorsque une vingtaine d’hommes cagoulés et armés de kalachnikovs ont fait irruption à son domicile et l’ont embarqué manu militari dans un convoi de pick-up non immatriculés. « On aurait dit un raid contre une cellule terroriste. Rien ne justifiait un tel déploiement. Je suis handicapée, je ne pouvais pas aller bien loin », s’indigne-t-elle, rappelant qu’elle se déplace difficilement suite à un accident domestique.
Sans mandat d’arrêt, l’escouade se présente comme la brigade des stupéfiants. Amira Osman n’y croit pas une seconde. A sa libération, le 6 février, ses doutes se confirment. Elle a été arrêtée par les Services de renseignement généraux (GIS), autrefois NISS – la puissante police secrète d’Omar Al-Bachir dissoute après sa chute –, auxquels elle a déjà eu affaire en 2012. « Le général Burhane a ressuscité de vieux démons. En décembre, il a émis un décret donnant des pouvoirs élargis aux forces de sécurité, leur octroyant une totale immunité », dénonce-t-elle.
En vingt ans de militantisme pour les droits des femmes et au sein du Parti communiste, Amira Osman ne compte plus les arrestations par la police pour port du pantalon ou refus de porter le hijab sous le régime précédent qui avait imposé des lois discriminatoires sur l’ordre et la morale publique, abolies en 2019.
« Un Etat hors la loi »
« On avait un peu d’espoir [avec la transition politique], mais le putsch est un retour en arrière. Ils ciblent les femmes car elles jouent un rôle important dans la rue depuis trois ans. Ils cherchent à terroriser les familles pour qu’elles empêchent leurs filles de participer aux manifestations. Mais cela ne fait que renforcer notre détermination », lance-t-elle.
Amira Osman s’estime chanceuse. Figure de la lutte pour les droits humains, elle a été libérée grâce à la mobilisation de nombreuses organisations soudanaises et internationales. Selon le collectif des avocats d’urgence, qui tente de suivre et de répertorier les arrestations de militants, plus de 400 prisonniers politiques seraient aujourd’hui détenus à travers le pays.
A Khartoum, les avocats ont pu confirmer la présence d’au moins une centaine de militants, politiciens ou simples manifestants à la prison de Soba, au sud-est de la ville. Les services de sécurité visent principalement les membres des comités de résistance, fers de lance de la contestation contre le putsch.
« Aujourd’hui, nous sommes face à un Etat hors la loi. Ces arrestations sont illégales, contraires au droit soudanais et international. Aucune procédure n’est respectée », souligne l’avocat Abdelsalam Saboon, mettant en cause l’« état d’urgence permanent » décrété le 25 octobre 2021.
Des aveux soutirés sous la torture
D’après le juriste, les charges qui pèsent sur les détenus sont souvent exagérées, voire falsifiées. Amira Osman, par exemple, est sous le coup d’une enquête pour possession d’armes et de munitions parce que cinq balles de petit calibre ont été trouvées dans l’un de ses tiroirs. « Des souvenirs qu’ils tiennent pour preuves accablantes », se défend celle qui a été championne nationale de tir par le passé.
Un autre cas a récemment défrayé la chronique, celui de Mohammed Adam, alias « Tupac », 17 ans, incarcéré à la prison de Kober. Accusé par les autorités d’avoir poignardé un brigadier de police lors d’une manifestation le 13 janvier, le jeune homme a été arrêté à l’hôpital où il était soigné pour des blessures par balle à la jambe. Il encourt la peine de mort.
Sa famille, qui a finalement pu lui rendre visite, affirme que les forces de sécurité lui ont soutiré des aveux sous la torture. Isolé dans une cellule, son état de santé se dégrade. « Il a une jambe cassée et, sur l’autre, ils ont planté quatre clous au marteau », s’affole sa sœur Gwabel Adam. Le jeune homme aurait entamé une grève de la faim, tout comme une centaine d’autres prisonniers détenus à Soba pour dénoncer leurs conditions de détention.
Parmi eux, figurent plusieurs membres des Forces pour la liberté et le changement (FFC), la coalition de partis politiques qui partageait le pouvoir avec les militaires depuis la chute d’Omar Al-Bachir avant d’être évincée par le général Abdel Fattah Al-Bourhane. Le 9 février, l’ancien ministre des affaires étrangères, Khalid Omer, figure du parti du Congrès soudanais, a été interpellé en pleine réunion politique. Dans les jours qui ont suivi, Mohammed Al-Faki, ancien membre du Conseil de souveraineté, Wajdi Saleh, du parti Baath, Othman Al-Tayeb ou encore Taha Osman Ishaq ont à leur tour été placés sous les verrous.
Une « opération de camouflage »
Tous avaient déjà été arrêtés au moment du coup d’Etat, puis libérés lorsque le premier ministre Abdallah Hamdok était momentanément revenu à son poste suite à la signature d’un accord controversé avec la junte. Aujourd’hui, ils sont mis en cause pour leurs activités liées au comité de démantèlement du régime d’Omar Al-Bachir.
Avant le coup d’Etat, cette instance avait mené de multiples enquêtes sur des affaires de corruption et de malversations impliquant des membres de l’ancien régime, menant au gel de leurs comptes bancaires et à la saisie de nombreux biens mal acquis.
Depuis le 25 octobre 2021, le général Abdel Fattah Al-Bourhane a réhabilité bon nombre des soutiens du régime déchu. Parmi eux, le procureur général tout juste nommé par la junte, Al-Khalifa Ahmad, qui a servi sous Omar Al-Bachir et affirme ne détenir aucune information concernant ces arrestations arbitraires.
Après plusieurs plaintes laissées en souffrance, des membres des collectifs d’avocats ont rencontré lundi 21 février l’émissaire de l’ONU pour les droits de l’homme, Adama Dieng, qui entame jusqu’à jeudi sa première visite à Khartoum depuis le putsch. Le même jour, les autorités ont libéré une quarantaine de détenus de la prison de Soba, incarcérés depuis plusieurs semaines sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.
Le collectif des avocats d’urgence se félicite de ce « premier pas », tout en dénonçant une « opération de camouflage qui vise à faire croire à l’émissaire de l’ONU que les geôles du régime sont vides ». « Les autorités sous pression veulent polir leur image », renchérit l’avocate Nafissa Hajar qui rappelle que, si les regards sont braqués sur Khartoum, des dizaines de détenus croupissent toujours dans les geôles du nord du pays ou du Darfour. Depuis le début du mouvement de contestation contre le putsch, 82 manifestants ont été tués.
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