Après de multiples reports, le réseau social de Donald Trump, baptisé « Truth Social » (que l’on pourrait traduire par « réseau vérité ») a commencé à se lancer progressivement – et avec quelques difficultés – lundi 21 février. Très fortement inspiré de Twitter, le réseau social utilise la technologie de Mastodon, l’alternative libre au réseau social américain. D’abord déployé sur l’App Store, le réseau est censé être « complètement opérationnel » d’ici à la fin mars, selon Devin Nunes, le patron de Trump Media & Technology Group (TMTG), l’entreprise qui conçoit le nouveau réseau.
L’histoire de Truth Social est avant tout celle d’une vengeance. Le 8 janvier 2021, Donald Trump est banni à vie de Twitter, après y avoir publié plusieurs messages encourageant les émeutiers qui ont pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier. Le président sortant est furieux : utilisateur compulsif de Twitter, où il pouvait publier des messages plusieurs dizaines de fois par jour durant son mandat, il est désormais privé de son réseau social préféré.
L’ex-président américain, qui n’a cessé de dénoncer depuis des années une prétendue « censure » exercée par les grands réseaux sociaux américains contre ses soutiens, s’est à plusieurs reprises appuyé sur son bannissement de Twitter et Facebook pour lancer un premier service « alternatif ». Début mai, son équipe mettait en ligne « From the desk of Donald Trump », un site sur lequel il publiait des messages brefs. A l’époque, l’équipe Trump assurait qu’il serait rapidement possible de s’y s’inscrire, d’y publier des messages et des commentaires, bref, qu’il s’agirait d’un vrai réseau social. Mais après un mois d’activité à peine, « From the desk of Donald Trump » fermait dans l’indifférence, en raison d’un très faible nombre de visites.
Six mois plus tard, en octobre, Donald Trump annonçait le lancement à venir de « TRUTH Social » – en changeant de plate-forme, l’ancien président n’a pas perdu son goût pour les mots écrits tout en majuscules. Une plate-forme créée pour « s’élever contre la tyrannie de Big Tech » et « donner une voix à tout le monde ». « Tout le monde me demande pourquoi personne ne s’oppose à Big Tech », écrivait-il dans un communiqué. « Eh bien, c’est ce que nous allons bientôt faire ! » Mais le projet prend du retard : une première date de lancement, en novembre, est rapidement repoussée à « début 2022 ».
Financements massifs
Si la plate-forme n’est pas encore prête, en coulisse, Donald Trump et son équipe s’activent pour signer des partenariats. Rumble, la plate-forme de vidéo non modérée qui se présente comme une alternative à YouTube, prête sa technologie pour la diffusion de vidéos sur le service. Surtout, TMTG est parvenue à lever des sommes importantes : après des débuts difficiles, l’entreprise, alliée à une special purpose acquisition company (Spac, coquille vide permettant d’accélérer une procédure d’introduction en Bourse) a pu lever 300 millions de dollars, y compris auprès de grands noms de la finance aux Etats-Unis, dont une filiale de la banque d’affaires JPMorgan. La fusion a également permis à l’alliance de récolter un milliard de dollars supplémentaire de promesses de financement, mais ces sommes ne seront versées que si l’accord de fusion, qui fait l’objet d’une enquête de la part des régulateurs américains, est validé.
Ces levées de fonds donnent un important avantage compétitif à Truth Social, alors que les réseaux sociaux « alternatifs » ou « non censurés », qui cherchent avant tout à attirer les soutiens de l’ex-président et les militants d’extrême droite, se sont multipliés ces trois dernières années. Gab, Parler et Gettr cherchent ainsi tous les trois à prendre la place contestée de premier réseau social de la droite américaine. Mais si ces plates-formes ont bénéficié d’un afflux massif de nouveaux inscrits après le bannissement de Donald Trump de Facebook et Twitter, elles ne disposent ni des moyens de Truth Social, ni de la présence de Donald Trump. Toutes ont tenté de faire venir l’ancien président sur leur réseau, en lui réservant un compte dédié et en lui promettant une visibilité spécifique, voire, dans le cas de Parler, 40 % des parts de l’entreprise. Les négociations n’ont jamais abouti. L’ex-première dame, Melania Trump, y a toutefois ouvert un compte.
Les réseaux ultra-politisés ne présentent qu’un intérêt relatif, puisqu’on y prêche déjà des convaincus
De l’avis de la quasi-totalité des experts, politologues, sociologues ou économistes, les réseaux sociaux « militants » sont structurellement voués, au pire, à l’échec, au mieux, à atteindre assez rapidement un plafond. La quasi-totalité des utilisateurs préfèrent en effet n’utiliser qu’un seul réseau social, et préfèrent pouvoir y retrouver l’ensemble de leurs cercles sociaux. Même du point de vue purement militant, les réseaux ultra-politisés ne présentent qu’un intérêt relatif, puisqu’on y prêche déjà des convaincus.
Toutes ces plates-formes concurrentes ont aussi fait face à des difficultés très similaires ces trois dernières années. L’absence ou l’insuffisance de leur modération a conduit certains prestataires techniques à leur couper l’accès : Gab a ainsi perdu son contrat avec Microsoft Azure, et Parler a été retiré des magasins d’application d’Apple et de Google. Tous ont également connu leurs lots de déboires techniques et de piratages plus ou moins graves ; Gettr a été envahi de messages polluants, et des mots de passe de Gab ont été piratés. La faute, en partie, à des difficultés de recrutement pour ces plates-formes sulfureuses, parfois accentués par des dissensions internes – fin décembre, l’ensemble de l’équipe de sécurité informatique de Gettr a été licenciée, et les raisons de cette décision brutale ne sont pas très claires.
2024 en ligne de mire
Le lancement d’un réseau social sur lequel il a tout pouvoir est également, notent les observateurs américains, une brique supplémentaire dans une nouvelle campagne de Donald Trump à l’élection présidentielle de 2024. Privé des réseaux qu’il avait abondamment utilisés pour faire campagne et dicter l’agenda médiatique en 2016, l’ex-président ne fait guère mystère de son intention de se présenter à nouveau.
Son dernier message public, publié le 4 février, a pris la forme d’un communiqué consacré au mouvement du « convoi de la liberté » canadien, qui a bloqué pendant plus de trois semaines le centre de la capitale canadienne, Ottawa. Donald Trump, qui signe le texte en tant que PDG de TMTG, y déroule ses critiques habituelles contre la « censure » exercée selon lui par Facebook et Twitter, et se réjouit que le convoi « s’apprête à venir à Washington pour protester contre les règles ridicules érigées par Biden contre le Covid ». Sauf qu’aucune manifestation d’ampleur liée à ce mouvement n’a eu lieu dans la capitale américaine. Un avant-goût probable de ses futurs messages estampillés « Truth Social ».
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