LETTRE DE JÉRUSALEM
Noam Shuster chante « Dubai Dubai » lors du show satirique « El Shusmo » sur la chaine israelienne Makan, le 18 janvier 2022. CAPTURE D’ECRAN
Lorsqu’on s’attable pour un déjeuner avec l’humoriste israélienne Noam Shuster-Eliassi, mercredi 16 février à Jérusalem, le premier ministre, Naftali Bennett, rentre tout juste d’un voyage au petit royaume de Bahreïn, sur la rive occidentale du golfe Persique. Dans le quotidien de gauche Haaretz, un éditorialiste se réjouit, constatant à quel point cette visite paraît désormais normale, presque banale. Depuis 2020, fruit des accords dits « d’Abraham », Israël normalise à grands pas ses relations avec plusieurs Etats arabes (Emirats arabes unis, Bahreïn, Maroc et Soudan), sans la moindre concession à la cause palestinienne. Noam Shuster, pour sa part, en rigole.
Cette artiste de stand-up, qui fête tout juste ses 35 ans, a fait sensation en janvier à travers le Proche-Orient, en chantant sur la chaîne de télévision israélienne Makan un petit couplet en arabe à la gloire de Dubaï, la mégalopole émiratie, désormais accessible aux touristes israéliens en trois heures d’avion. Minaudant à souhait, elle adressait « un message d’amour et de paix à tous les Arabes, surtout s’ils vivent à 4 000 kilomètres d’ici », et remerciait les Emiratis d’avoir « oublié la Palestine » et le blocus de Gaza.
There it is with subtitles
“Dubai Dubai” from the satire show “el shusmo” on Makan channel | written by Razi Najja… https://t.co/9RQS8oYaST
— ShusterNoam (@Noam Shuster Eliassi)
Il est rare qu’un humoriste israélien, même de gauche, se taille ainsi un public dans le monde arabe. Pourtant Noam Shuster n’en est pas à son coup d’essai. En 2019, elle avait déjà attiré l’attention, en s’offrant pour épousailles au jeune prince héritier du royaume saoudien, Mohammed Ben Salman, sur l’antenne en arabe d’i24, chaîne de télévision du magnat des télécoms franco-israélien Patrick Drahi.
Au restaurant de l’American Colony, hôtel de luxe sis dans une ancienne demeure de maître de la moitié arabe de Jérusalem, occupée par Israël depuis 1967, Noam Shuster salue des travailleurs humanitaires internationaux : d’anciens confrères et amis. Il y a cinq ans encore, elle était l’une des leurs. Employée d’une agence des Nations unies, elle tâchait d’approcher des colons israéliens, des juifs ultraorthodoxes… Un public fort éloigné de l’« industrie de la paix », dont elle a fini par se lasser. « J’étais incapable de mesurer l’impact de mon travail. Je ne savais pas ce que je faisais… Depuis, j’ai laissé tomber les analyses rationnelles. Je cherche à désorienter les gens et ça marche bien mieux. »
La jeune femme ne s’est pas faite humoriste « pour de rire », mais par militantisme. Sa simple présence sur scène ou à la télévision, estime-t-elle, est un message. « Une Israélienne qui parle arabe, vous voyez ça d’habitude dans Fauda », cette série qui conte les faits d’armes d’agents mélancoliques du renseignement israélien, infiltrés en territoire palestinien. Au-delà des « mossaderies » télévisées dont Israël s’est fait une spécialité, Noam Shuster entend mettre en avant son identité mizrahi, « juive d’Orient » ou juive arabe, ancrée au Proche-Orient. « Nous devrions être les alliés des Palestiniens », estime-t-elle. Loin des clichés racistes que traîne la communauté séfarade en Israël – notamment sa composante française, au sein de laquelle le discours d’Eric Zemmour trouve un puissant écho.
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