Le patineur américain Timothy LeDuc est devenu vendredi le premier athlète non-binaire à participer à des JO d’hiver, en s’élançant et se qualifiant pour le programme libre avec sa partenairen Ashley Cain-Gribble. De nouvelles directives du CIO visent à rendre les futurs Jeux olympiques plus inclusifs.
Timothy LeDuc, qui utilise le pronom neutre « iel » (« they » et « them » en anglais), s’est qualifié en duo avec Ashley Cain-Gribble, vendredi 18 février, lors du programme court de patinage en couple. Il a également été, en 2019, le premier athlète ouvertement gay à remporter le titre national américain en patinage artistique en duo.
Au moins 35 athlètes LGBT+ participent aux JO-2022 de Pékin – un record depuis le début des Jeux olympiques.
Les nouvelles directives en matière de diversité annoncées par le Comité international olympique (CIO) en novembre dernier – et qui entrent en vigueur en mars prochain – visent à rendre les prochains Jeux plus inclusifs en mettant fin au recours au taux de testostérone pour décider quels athlètes peuvent participer aux épreuves masculines ou féminines.
« Ce qui nous intéresse vraiment, c’est le résultat », avait alors déclaré Richard Budgett, le directeur médical et scientifique du CIO. Le choix a donc été fait de détailler dix grands thèmes – dont l’inclusion, l’équité et la prévention des dommages – que les fédérations sportives peuvent ensuite utiliser pour définir les catégories de compétition.
« Vous ne devriez pas avoir à choisir entre ce que vous êtes et les sports que vous aimez », déclare Liz Ward, directrice des programmes de l’association caritative LGBT Stonewall, contactée par France 24. « Nous saluons le cadre le plus récent du CIO sur l’équité et l’inclusion. Il place les personnes transgenres et intersexes au cœur de la prise de décision concernant leur propre participation au sport. »
Violations « invasives » des tests sur le taux de testostérone
Avant de participer aux JO de Tokyo, en 2021, le footballeur canadien Quinn a annoncé qu’il utilisait des pronoms de genre neutres et qu’il adoptait son nom de famille comme mononyme. Dans le monde du sport, « je suis considéré comme peut-être l’une des versions les plus digestes de ce que cela signifie d’être trans », a-t-iel déclaré au site de son club en octobre 2020.
Bien que tous les athlètes transgenres n’aient pas recours à des procédures médicales ou chirurgicales de changement de sexe, ceux qui le font peuvent encourir des sanctions sévères en vertu des directives actuelles du CIO, introduites en 2015 et toujours en vigueur aux Jeux d’hiver de Pékin.
Les athlètes qui transitionnent du genre féminin au genre masculin peuvent généralement participer à des épreuves masculines « sans restriction », car ils ne sont pas considérés comme ayant un avantage compétitif déloyal.
En revanche, les athlètes qui changent du genre masculin au genre féminin doivent déclarer leur identité sexuelle féminine au moins quatre ans avant de concourir et démontrer que leur taux de testostérone total est inférieur à 10 nanomoles par litre de sang durant l’année précédant une compétition et pendant que celle-ci se déroule.
Bien que les hommes aient des niveaux plus élevés de cette hormone que les femmes, les experts contestent ces « normes » pour chaque sexe.
Ces pratiques de « contrôle du sexe » pour les athlètes féminines sont par ailleurs perçues par l’ONG Human Rights Watch comme des violations « invasives et inutiles » de leur droit à la vie privée et à la dignité.
Cette règle sur la testostérone a conduit à l’exclusion de compétitions de haut niveau d’athlètes intersexués, tels que la coureuse sud-africaine Caster Semenya et la sprinteuse indienne Dutee Chand. Nées avec des caractéristiques à la fois masculines et féminines à la naissance, ces deux athlètes ont des niveaux de testostérone jugés trop élevés pour concourir dans les épreuves féminines.
Une mentalité « vieux jeu » vis-à-vis des athlètes LGBT+
Le CIO espère que ses nouvelles directives, introduites en mars prochain sur la base d’une participation volontaire de chaque discipline olympique, rendront les Jeux plus inclusifs.
Mais dans le patinage artistique, les questions de genre vont au-delà de la question de savoir qui peut concourir. Traditionnellement, ce sport répond à des rôles de genre rigides qui définissent les costumes que les concurrents peuvent porter et les trames romantiques généralement exécutées dans les programmes masculins et féminins.
Il y a encore également de nombreux stéréotypes au sujet des patineurs LGBT+. Le Français Guillaume Cizeron a révélé son homosexualité dans un post Instagram, en mai 2020, et se l’est vu rappeler ensuite par un ancien professionnel du milieu, fin 2021, lors du Finlandia Trophy – qu’il a remporté avec sa partenaire, Gabriella Papadakis. « Les Français ont de la classe, mais ils sont froids. Le partenaire est gay et on ne peut pas le cacher », a commenté après leur prestation l’ancien juge international de patinage artistique Alexander Vedenin sur la chaîne russe Match TV.
« [Ce commentaire] était juste incroyable », réagit Benoît Richaud, chorégraphe olympique de patinage artistique, contacté par France 24. « Tellement de gens sont homosexuels dans notre sport. C’est important de montrer à la jeune génération que c’est normal et qu’il ne faut pas se cacher. »
Guillaume Cizeron et Gabriella Papadakis viennent de remporter leur première médaille d’or aux Jeux d’hiver de Pékin, où le Français est aussi l’un des neuf patineurs sur glace ouvertement LGBT+ en compétition, comme Timothy LeDuc. Bien que les personnes LGBT+ soient de plus en plus visibles et représentées dans la sphère publique et médiatique, le fait que les JO d’hiver ne voient seulement que maintenant un athlète concourir ouvertement en tant que non-binaire « montre à quel point nous sommes vieux jeu », estime Benoît Richaud. « Mais soyons réalistes : ce n’est pas seulement le patinage artistique, c’est probablement tous les sports. »
Le sport, « un puissant catalyseur de changement »
Timothy LeDuc, avec sa partenaire Ashley Cain-Gribble, tenait à remettre en question les stéréotypes de genre bien avant de savoir qu’il serait le premier athlète non-binaire à concourir à Pékin. Le couple de patineurs se produit souvent dans des unitards assortis – il porte des pantalons – et évite les rôles masculin-féminin traditionnels dans ses chorégraphies.
« Cela n’a rien à voir avec le fait qu’Ashley soit mariée à quelqu’un d’autre… (ou) que je sois gay. Cela a tout à voir avec le fait que nous sommes des athlètes tellement forts et que nous ne voulions pas diminuer nos capacités extraordinaires sur la glace », a déclaré l’athlète non-binaire dans une interview accordée à la Fondation Thomson Reuters avant les Jeux d’hiver.
Benoît Richaud reconnaît qu’il y a place pour une « approche plus moderne » du patinage sur glace, qui remet en question les définitions traditionnelles de la beauté et de la grâce. Il a réussi à le faire dans son propre travail : Kaori Sakamoto – dont il est la chorégraphe – a remporté, jeudi, la médaille de bronze en patinage libre simple féminin à Pékin.
Timothy LeDuc et Ashley Cain-Gribble sauront s’ils gagnent une médaille samedi, après le programme libre. Mais pour certains, leur impact sur les Jeux est déjà significatif. « C’est une source d’inspiration de voir tant d’athlètes s’exprimer en faveur des droits LGBTQ+ », a déclaré Liz Ward. « Nous sommes incroyablement enthousiastes à l’idée de voir des athlètes comme Timothy LeDuc exceller dans les sports qu’ils aiment tout en écrivant l’histoire en cours de route. Le sport a toujours été un puissant catalyseur de changement. »
Cet article est une adaptation de la version anglaise disponible ici.
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