L’OMS a annoncé vendredi le lancement d’un programme de production de vaccins contre le Covid-19 en Afrique pour réduire la dépendance sanitaire du continent. Une initiative qui vise également à booster la vaccination dont le niveau, malgré les progrès d’approvisionnement, demeure très faible.
Les vaccins à ARN messager bientôt produits massivement en Afrique ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé, vendredi 18 février, que six pays du continent (Afrique du Sud, Égypte, Kenya, Nigeria, Sénégal et Tunisie) allaient être dotés de chaînes de production pour fabriquer des doses de vaccin contre le Covid-19.
L’organisation onusienne, qui milite ardemment pour une plus grande égalité vaccinale espère que ce dispositif permettra à l’Afrique, dont seulement 11,3 % de la population est entièrement vaccinée, de rattraper son retard.
« Le taux de vaccination doit être multiplié par six pour que le continent atteigne l’objectif de 70 % de couverture vaccinale fixé pour la fin du premier semestre de cette année », alertait l’OMS début février.
Alors que l’approvisionnement en doses a considérablement augmenté ces derniers mois, permettant de palier les problèmes de pénurie, l’organisation s’inquiète de la lenteur du déploiement des vaccins sur le continent.
Pour faire le point sur l’évolution de la pandémie en Afrique et les nouveaux moyens mis en place, France 24 s’est entretenu avec le professeur Yap Boum, le représentant de Epicentre pour l’Afrique, la branche de recherche de Médecins sans frontières (MSF).
France 24 : l’annonce du programme de production de vaccins sur le continent a été salué comme un « événement d’une importance historique » par le président kényan, Uhuru Kenyatta. Partagez-vous son enthousiasme ?
Yap Boum : C’est effectivement une annonce très importante à plus d’un titre. Car la pandémie de Covid-19 a exposé l’extrême dépendance sanitaire de l’Afrique, dont 98 % des vaccins proviennent de l’étranger. Dans ce contexte, l’Afrique, condamnée à composer avec le bon vouloir des donateurs et les impératifs de production extérieurs, a accumulé les retards. Ce fut notamment le cas lorsque l’Inde, frappé par une flambée épidémique soudaine, a interrompu ses livraisons d’AstraZeneca par l’intermédiaire du programme Covax.
Le programme de production de vaccins annoncé par l’OMS est un pas de géant, dans le sens où il peut permettre de fabriquer en fonction des besoins et donc d’apporter une réponse adaptée aux situations locales.
Cette initiative va également stimuler la recherche sur le continent et permettre à l’Afrique de participer à l’effort global visant à mettre au point de meilleurs vaccins permettant d’arrêter l’épidémie, et non juste de la freiner et d’éviter formes sévères, comme c’est le cas actuellement. Enfin, toujours sur le plan de la recherche, ce programme va permettre de mener des essais cliniques en Afrique. Cet aspect est crucial car l’efficacité des vaccins peut varier en fonction du contexte et des populations et une seule étude a été menée sur le continent jusqu’ici, par AstraZeneca en Afrique du Sud.
Depuis le début de la pandémie, l’OMS milite sans relâche pour procurer un meilleur accès aux vaccins anti-Covid-19. Pourtant, malgré l’amélioration de l’approvisionnement, la progression de la vaccination demeure faible, comment expliquer ce phénomène ?
Tout d’abord, il faut reconnaître que le président de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ainsi que le président de l’Africa CDC (Centres africains de contrôle et de prévention des maladies), John Nkengasong, ont mené un travail de lobbying remarquable pour obtenir ces vaccins. Pour autant, l’approvisionnement n’est qu’une partie du problème. Aujourd’hui, les doses sont là mais la réticence vaccinale demeure forte. Cette réalité est due en partie à la désinformation, mais aussi et surtout à la situation sanitaire de la plupart des pays africains où, malgré un taux de contamination élevé comparable à l’Europe, le nombre de décès est resté beaucoup plus faible.
À titre d’exemple, le Cameroun a enregistré seulement 2 000 morts liés au Covid-19 depuis le début de la pandémie. Certes, ce chiffre n’inclus pas les personnes mortes au sein des communautés, mais il est sans commune mesure avec ce qui a pu être observé dans les pays européens. Bien sûr, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : le Maroc, l’Algérie ou bien encore l’Afrique du Sud, par exemple, ont été touchés plus gravement. Mais le faible taux de vaccination répond avant tout à une logique simple : moins les gens perçoivent de risque, moins ils ressentent le besoin de se faire vacciner.
L’OMS a appelé les pays africains à accélérer le rythme du déploiement des vaccins, y a-t-il encore aujourd’hui des problèmes logistiques qui freinent l’accès au vaccin ? Qu’en est-il des campagnes de sensibilisation ?
Il est vrai qu’aujourd’hui les campagnes vaccinales se focalisent beaucoup sur les villes et qu’il est parfois difficile d’acheminer les doses dans les territoires plus reculés. C’est un problème de financement mais également d’organisation logistique, parfois difficile à mettre en place dans des zones étendues et isolées aux infrastructures peu développées.
Sur le plan de la sensibilisation, les gouvernements doivent mettre l’accent sur des campagnes ciblées et fixer des priorités. L’OMS est dans son rôle lorsqu’elle fixe des objectifs à l’échelle du continent, mais ces règles doivent ensuite être adaptées à la situation des pays pour être pertinentes. Le Niger par exemple, dont plus de 50 % de la population est mineure, ne pourra pas atteindre l’objectif des 70 % de la population vaccinée, à moins de vacciner massivement les enfants, ce qui n’est clairement pas la priorité à l’heure actuelle.
Au Cameroun, seulement 7,9 % des personnes âgées et 6,2 % des personnes atteintes de comorbidités ont reçu au moins une dose. En moyenne, le taux de vaccination chez les personnes vulnérables est encore plus faible qu’en population générale (7,8 %). Il est urgent de concentrer l’effort vaccinal sur cette catégorie de personnes qui représente l’essentiel des décès liés au Covid-19.
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