Quatre militantes féministes afghanes, arrêtées à Kaboul en janvier dernier pour avoir manifesté en faveur des droits des femmes, ont été libérées par les Taliban le 12 février. Pour notre Observatrice, cette libération très attendue ne signifie pas pour autant une amélioration des droits des femmes en Afghanistan, où des dizaines de femmes sont toujours portées disparues et pourraient être également détenues par les Taliban.
Le 15 août 2021, les Taliban ont pris possession de Kaboul et ainsi repris le pouvoir en Afghanistan.
Malgré des promesses « d’ouverture », les Taliban ont rapidement annoncé des mesures inquiétantes pour les droits des femmes en Afghanistan. Les militantes féministes ont alors été les premières à oser braver leur pouvoir.
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Sur cette vidéo montre la militante Tamana Zaryabi Paryani’s à son domicile, quelques instants avant son arrestation par les Taliban. On peut l’entendre dire : « Les Taliban veulent entrer de force dans notre maison. Oh mon Dieu, mes sœurs sont là aussi. S’il vous plaît, partez (…) Au secours, au secours ! »
À Kaboul, plusieurs rassemblements ont été organisés dès le mois d’août 2021 pour dénoncer les restrictions imposées aux femmes et aux filles, ainsi que pour défendre le droit à l’éducation et à la participation à la vie politique.
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La réaction des Taliban a été sévère : plusieurs femmes ont été battues, arrêtées ou tuées. D’autres ont dû fuir, partir à l’étranger, pour se protéger et protéger leur famille.
« Elles sont dévastées moralement et psychologiquement »
Atefa Ghafouri est une journaliste afghane et une militante des droits des femmes. Menacée par les Taliban, elle a fui pour l’Europe en janvier dernier :
Tamana [Zaryabi Paryani], Zahra [Mohammadi], Parwana [Ibrahimkhel] et Mursal [Ayar] sont quatre militantes qui ont été arrêtées, avec certains de leurs proches, par les Taliban à Kaboul. Nous savions que les Taliban les avaient enlevées, mais depuis plusieurs semaines, nous n’avions plus de nouvelles d’elles.
J’ai pu parler avec certains de leurs proches. Je sais qu’elles ont vécu des moments très difficiles en prison. Elles sont dévastées moralement et psychologiquement, et ne sont pas encore capables d’en parler.
Nous connaissons ces femmes parce que leur arrestation a été annoncée publiquement par leurs familles et leurs amis. Mais le nombre réel de victimes semble être bien plus élevé. Le problème, c’est que de nombreuses familles refusent d’en parler en raison des pressions et menaces qu’elles reçoivent de la part des Taliban. De nombreuses activistes des droits des femmes ont reçu des menaces en ligne, au téléphone ou par courrier. Certaines d’entre elles ont été convoquées dans les bureaux de la police talibane – et c’est le cas de femmes qui sont aujourd’hui disparues.
Parfois, ce sont aussi les familles de ces militantes qui sont menacées. Les Taliban leur disent : « Si vous voulez que votre femme ou votre fille soit en sécurité, faites-la taire ».
A Taliban soldier hits a female protester with an iron rod, September 7. Video sent to us by one of our Observers in Kabul.
Un soldat Taliban frappe une manifestante, le 7 septembre 2021. Vidéo transmise par un de nos Observateurs à Kaboul.
Les proches de notre Observatrice ont eux aussi connu ces menaces :
Quelques semaines avant que les Taliban ne prennent le contrôle du pays, mon père marchait dans la rue. Il est passé devant le bureau du gouverneur et un homme lui a mis un pistolet sur la tempe, menaçant de le tuer lui et toute ma famille, si je n’arrêtais pas de travailler. C’était horrible. Pendant plusieurs semaines, je n’ai pas pu sortir et je n’ai rien pu écrire sur mes réseaux sociaux, de peur qu’au moindre mot ou à la moindre action de ma part, ils me tuent et tuent mes proches.
Le 12 février, l’émissaire des États-Unis pour les droits des femmes en Afghanistan, Rina Amiri, a estimé qu’au moins deux femmes étaient toujours détenues par les Taliban.
Tammana et Parvaneh ont été arrêtées à leur domicile le 19 janvier, une heure seulement avant que des représentants des Taliban ne rencontrent des responsables norvégiens à Oslo pour parler des droits des femmes.
Juste après cette rencontre, trois autres femmes ont été enlevées. Selon leurs familles, ces enlèvements ont été très violents : des dizaines d’hommes ont fait irruption dans les maisons, frappant tout le monde et ne donnant aucune explication.
Amir Khan Muttaqi, le ministre des Affaires étrangères des Taliban, a affirmé lors de la réunion à Oslo que certains groupes de voyous menaient des opérations de ce type sans l’approbation des Taliban. Il faisait certainement référence au réseau Haqqani, la section militaire des Taliban [ce groupe est responsable de certaines des attaques les plus dévastatrices en Afghanistan, NDLR].
Le 23 janvier, plusieurs hauts responsables des Taliban, dont Amir Khan Muttaqi et Anas Haqqani, chef de la faction Haqqani, se sont entretenus avec des responsables occidentaux pendant trois jours à Oslo pour discuter de la crise humanitaire en Afghanistan et des droits humains, en particulier ceux des femmes.
Lors de ces réunions, ils ont nié toute implication dans des enlèvements de femmes. Le porte-parole du gouvernement, Zabihullah Mujahid, a également nié toute interpellation de militantes féministes. Atefa Ghafouri poursuit :
Selon moi, les initiatives comme ces rencontres à Oslo n’aident pas les femmes afghanes. Les Taliban ont continué à arrêter des militantes. Rien n’a changé concernant la condition des femmes. Inviter en Norvège des terroristes recherchés au niveau international comme Anas Haqqani ne fait que leur donner plus de légitimité.
La seule chose que les gouvernements occidentaux peuvent faire est de cesser d’aider les Taliban, à tous les niveaux. Le gouvernement afghan ne devrait être reconnu que s’il est inclusif, libre, approuvé par des élections, et qu’il garantit aux femmes des droits et un rôle dans la société [aucun pays n’a encore reconnu le gouvernement taliban en Afghanistan, NDLR].
Members of the Taliban fire in the air to disperse demonstrators, September 7. Video sent by one of our Observers in Kabul.
Un membre des Taliban tire en l’air pour disperser les manifestants, le 7 septembre 2021. Vidéo transmise par un de nos Observateurs à Kaboul.
Le 26 janvier, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est dit préoccupé « des informations faisant état d’arrestations arbitraires et d’enlèvements de militantes » en Afghanistan et a appelé à la libération de ces femmes.
« La libération de ces quatre femmes ne signifie pas que les Taliban changent de cap sous la pression internationale »
Pour l’heure, les Taliban n’ont pas donné de réponse aux familles qui s’inquiètent de l’arrestation de leurs proches. Ils ne font que nier leur implication dans ces affaires.
Ils cherchent simplement à obtenir la reconnaissance internationale en tant que dirigeants de l’Afghanistan pour voir se débloquer les avoirs gelés dans les banques internationales et recevoir de l’aide humanitaire internationale [les États-Unis ont gelé environ 9,5 milliards de dollars d’avoirs étrangers de l’Afghanistan et ont imposé des sanctions financières au pays, NDLR].
Mais en même temps, ils souhaitent faire taire toute forme d’opposition dans le pays. Et les femmes activistes ont été le premier – et le seul – groupe à oser défier l’autorité des Taliban. Ils commettent des atrocités sans en revendiquer la responsabilité.
La libération de ces quatre femmes ne signifie pas que les Taliban changent de cap sous la pression internationale, car beaucoup de femmes sont toujours enfermées illégalement.
Et malheureusement, je pense que ça marche : à cause des menaces et des arrestations, de moins en moins de femmes osent prendre la parole.
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