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A Pavlopil, « cela fait huit ans que la guerre est notre quotidien »

Par Emmanuel Grynszpan

Publié aujourd’hui à 16h41

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ReportageLes habitants de ce village du Donbass situé près de la ligne de front avec l’autoproclamée « république populaire de Donetsk » vivent partagés entre propagande russe, nationalisme ukrainien et arrangements avec « l’ennemi ».

Ne parlez pas de guerre imminente aux habitants de Pavlopil, un village ukrainien situé à 800 mètres de la ligne de front avec l’autoproclamée « république populaire de Donetsk » (RPD). « Cela fait huit ans que la guerre est notre quotidien », fulmine Tamara, une retraitée venue rendre des livres à la petite bibliothèque du village. Cheveux roux et caractère bien trempé, elle maudit le camp d’en face. « Ils veulent nous imposer leur monde russe sans nous demander notre avis. Mais ce territoire a toujours été ukrainien », martèle l’ancienne employée de mairie, qui a passé toute sa vie à Pavlopil.

C’est une opinion parmi d’autres dans la commune de 420 habitants. « J’évite d’aborder les thèmes politiques, poursuit Tamara. Parce que, même dans le village, je tombe parfois sur des gens qui répètent la propagande russe. Et mon sang se met immédiatement à bouillir ! »

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Situé dans le sud de l’Ukraine, à 20 kilomètres au nord-est du port de Marioupol, Pavlopil est un village à part. Habituellement un point chaud du front, on n’y entend ces dernières heures que des tirs d’armes à feu, alors que l’artillerie se déchaîne à nouveau plus au nord, autour de Donetsk et de Lougansk. Peuplé d’Ukrainiens parlant le russe entre eux, il est aussi la seule commune, le long des 420 kilomètres de la ligne de front, à recevoir du gaz russe venant du territoire occupé par les « séparatistes ». Fruit des efforts de l’administration locale, un discret arrangement permet aux habitants de cette commune sinistrée d’avoir accès à un gazoduc enterré venant de la RPD. Et à un gaz bien moins cher qu’en Ukraine.

Problème secondaire

Une aubaine pour Lioubov Lyakh, une retraitée vivant avec son mari et son fils cadet dans une bicoque témoignant d’une pauvreté extrême. Aimable et souriante, cette dame, qui marche avec de grandes difficultés, fait volontiers visiter son domicile aux murs tâchés par l’humidité. « Nous avons le plus grand mal à survivre, car nous sommes tous malades », explique-t-elle. Son mari et son fils aîné, tous deux alités, affichent de très mauvaises mines. Le fils a été victime d’un accident vasculaire cérébral il y a quelques mois et reste lourdement handicapé. Les deux hommes travaillaient comme employés agricoles pour la société HarvEast, une vaste société détenue par les oligarques ukrainiens Rinat Akhmetov et Andrei Novynskyi. Leurs trois revenus additionnés s’élèvent à 166 euros mensuels, « c’est loin de suffire pour payer nos médicaments », note Mme Lyakh.

Dans la cuisine de la famille Lyakh, à Pavlopil, dans le sud-est de l’Ukraine, le 18 février 2022. LORENZO MELONI/MAGNUM PHOTOS POUR « LE MONDE » Lioubov Lyakh chez elle à Pavlopil, en Ukraine, le 18 février 2022. LORENZO MELONI/MAGNUM PHOTOS POUR « LE MONDE »

Au moins la maison est-elle correctement chauffée. « Oui, mais le gaz n’est arrivé qu’en décembre et ils [la RPD] peuvent le couper n’importe quand », s’inquiète-t-elle. Comment fait-on pour payer le gaz fourni par un ennemi, avec lequel aucune transaction bancaire n’est possible ? Lioubov Lyakh glousse, car c’est un sujet tabou : « Quelqu’un récolte l’argent et le fait passer de l’autre côté, mais j’ignore comment. » Sa maison n’a pas de compteur individuel, et la facture est calculée sur la base de la surface chauffée.

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