FactuelDepuis plusieurs semaines, le spectre d’une invasion de l’Ukraine par la Russie hante les prières des Ukrainiens installés à Paris. Dans la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, un conseil caritatif s’organise, « au cas où ».
Le bruit de la rue disparaît à mesure que la voix grave de l’évêque s’élève dans l’enceinte de la cathédrale ukrainienne Saint-Vladimir-le-Grand. Seul le léger grincement du parquet témoigne de l’arrivée au compte-gouttes, dans une odeur d’encens, des derniers fidèles dans l’église de culte grecque-catholique située rue des Saints-Pères, dans le 6e arrondissement de Paris.
Emmitouflés dans leur manteau en cette fraîche matinée hivernale, ils sont près d’une cinquantaine, mardi 15 février, à assister à la messe lors de laquelle monseigneur Hlib Lonchyna a notamment appelé à prier pour la paix en Ukraine. « Notre peuple est croyant. Nous croyons que Dieu sera toujours avec nous et nous aidera dans toutes les situations, dans la guerre comme dans la paix. C’est aussi ce qui donne de la force aux gens. »
Difficile en effet de faire face seul à cette incertitude. Tandis que Moscou affirme reculer ses troupes massées à la frontière russo-ukrainienne, les Occidentaux réclament toujours des preuves tangibles d’une désescalade et s’attendent à des manœuvres russes dans les prochains jours.
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La menace fantôme
« Je pleure beaucoup. C’est horrible ce qui se passe », confie après la messe Natalia Marynyuk. Cette femme de ménage de 51 ans, originaire de l’ouest de l’Ukraine, peine à mettre des mots sur ce qu’elle ressent et s’en excuse à plusieurs reprises. Ses yeux bleu-gris, eux, traduisent sans peine l’inquiétude et la colère qui la traversent. « Vladimir Poutine a une idée fixe, rebâtir l’Union soviétique comme avant et reprendre l’Ukraine ! Il veut laisser sa trace dans l’histoire », avance-t-elle.
Monseigneur Hlib Lonchyna, dans la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, à Paris, le 15 février 2022. ODHRÀN DUNNE POUR « LE MONDE » Natalia Marynyuk, 51 ans, dans la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, à Paris, le 15 février 2022. ODHRÀN DUNNE POUR « LE MONDE »
Cette menace de voir déferler les troupes russes sur l’Ukraine plane dans l’esprit de nombreux fidèles de l’église. Des craintes qui viennent raviver le souvenir des moments douloureux de l’histoire du pays, en proie à un conflit qui oppose les séparatistes de l’Est à l’armée nationale depuis 2014. « C’est une grande tragédie dans la vie des Ukrainiens. Il y a déjà eu plus de 14 000 morts, de nombreux blessés, un million de personnes déplacées », confie au Monde l’évêque, arrivé à Paris il y a trois ans après avoir exercé en Grande-Bretagne.
Pour la plupart des fidèles qui fréquentent cette église, les échanges avec les proches et la famille sur place tournent inévitablement autour des derniers rebondissements politico-diplomatiques. « Nos paroissiens, pour la majorité, ont leur famille en Ukraine et sont très préoccupés », explique Ihor Rantsya, curé de la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand.
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« J’ai peur que ça devienne un bain de sang »
Le jugement est unanime : l’Ukraine est indépendante et veut le rester. Quitte à se défendre face au gigantesque voisin russe. « Monsieur Poutine dit que nous sommes un même peuple. Nous ne sommes pas un même peuple, nous parlons deux langues différentes. Nous parlons ukrainien, ils parlent russe », explique Jean-Pierre Kopczuk, né en France de parents originaires de la ville d’Ivano-Frankivsk, dans l’ouest de l’Ukraine. « Il a récupéré la Crimée, il devrait s’arrêter là ! A l’heure où, dans le monde, on érige des murs partout, peut-être devrait-on mettre un mur autour du Donbass et lui laisser », tranche le retraité de 67 ans, avec ce qui semble être une pointe d’ironie.
Jean-Pierre Kopczuk, retraité, est fils de parents ukrainiens, né en France, et s’est marié avec une Ukrainienne. Dans la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, à Paris, le 15 février 2022. ODHRÀN DUNNE POUR « LE MONDE »
« Personne ne sait ce qui va arriver, mais on se prépare, avance Hlib Lonchyna. Certains quittent Kiev pour aller plus à l’Ouest. De nombreuses armes circulent. J’ai peur que ça devienne un bain de sang. La population ne veut pas de cette occupation et se défendra. Nous sommes indépendants depuis 1991 et souhaitons le rester. » Sentiment partagé par Natalia Marynyuk : « Nous n’avons pas peur ! Nous nous défendrons ! »
Si chacun envisage le scénario du pire, tous souhaitent le voir s’éloigner. « J’espère que la Russie retirera ses troupes armées et nous laissera la liberté de nous développer en tant que pays indépendant, sans venir troubler la vie économique ou politique », ajoute l’administrateur apostolique. Jean-Pierre Kopczuk, qui veut « croire que Vladimir Poutine ne s’avancera pas plus en Ukraine », entend, comme tous les ans, pouvoir partir en vacances en Ukraine avec sa femme, arrivée en France il y a près de vingt ans. Peu importe la suite des événements.
« Nous continuons notre vie, mais nous nous adaptons face à cette situation nouvelle qui touche le cœur des gens, résume Ihor Rantsya. Nous nous organisons pour lancer des collectes de vêtements ou d’autres choses. Pour l’heure, il n’y a pas de besoin, mais nous avons un conseil caritatif géré par nos laïcs. Au cas où. »
Mgr Hlib Lonchyna, entouré des curés, conduit la cérémonie de la présentation de Jésus au temple, devant ses fidèles, dans la cathédrale Saint-Vladimir-le-Grand, à Paris, le 15 février 2022. ODHRÀN DUNNE POUR « LE MONDE » Lire les dernières informations : Biden veut donner « toutes ses chances à la diplomatie »
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