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Iran : la parade de l’auteur d’un féminicide met en lumière l’horreur des “crimes d’honneur”

La vidéo est insoutenable : pendant 30 secondes, elle montre un homme paradant tout sourire dans les rues d’Ahvaz, dans la province iranienne du Khuzestan, un couteau dans une main. Dans l’autre : la tête de sa femme. Il vient de la décapiter, au motif qu’elle avait fui leur mariage forcé. Ce fait divers, qui a provoqué depuis le 5 février une émotion internationale, constitue une rare preuve en images de la persistance des « crimes d’honneur » en Iran, que détaille notre Observatrice. 

Les images ont été publiées le 5 février par un média iranien. La victime s’appelait Mona, et était âgée de 17 ans. Son mari et assassin, Sajjad, 21 ans, l’a décapitée, quelques minutes avant que les images ne soient tournées, avec l’aide de son frère. Pendant cette procession macabre, les passants l’applaudissent et l’encouragent aux cris de « vive Sajjad ».  

L’histoire commence lorsque Mona avait 12 ans, âge auquel elle a été mariée de force à Sajjad. Selon des médias iraniens citant des amis de la jeune femme, elle est devenue mère à 14 ans, avant de finalement fuir les violences domestiques à la mi-2021. Se retrouvant finalement sans argent, et là encore maltraitée par un homme, elle a appelé son père à l’aide, qui l’a ramenée à Ahvaz. Son mari l’a retrouvée et tuée le 5 février.  

Cette vidéo, dont nous ne diffusons qu’une capture d’écran floutée pour des raisons évidentes, rappelle la réalité des « crimes d’honneur » en Iran, notamment dans cette région tribale du sud-ouest qui compte une importante population arabe. Selon l’ONG Human Rights Watch, le crime d’honneur est « commis par les membres masculins d’une famille à l’encontre de ses membres féminins, lorsqu’ils sont perçus comme cause de déshonneur pour la famille tout entière ». Ces crimes peuvent être liés au refus d’un mariage arrangé, de faveurs sexuelles ou aussi une demande de divorce, notamment dans un cas d’adultère. Si les autorités iraniennes ont tendance à cacher ou à manipuler les statistiques les concernant, des activistes tiennent des comptes.

Le père de Mona, à droite, son oncle à gauche, et la jeune fille au centre, en Turquie . © .

« Cet homme qui décapite sa femme et parade avec sa tête, ne commet pas ce crime sous le coup de la folie »

C’est le cas de Fatemeh Hassan, une activiste des droits des femmes, qui suit de près cette pratique :

D’après les chiffres des militants, il y a chaque année entre 375 et 450 «  »crimes d’honneur » » en Iran [selon les statistiques officielles, il y a chaque année en Iran environ 1 800 homicides – les « crimes d’honneur » représenteraient donc près de 20 % des homicides, NDLR]. Près de 40 % des « crimes d’honneur » sont enregistrés dans les trois provinces occidentales du pays : le Khouzestan, le Kermanshah et l’Ilam, à la frontière irakienne.

Nous sommes cependant convaincus que le nombre réel de « crimes d’honneur » est plus élevé car beaucoup de ces meurtres sont comptabilisés comme des suicides ou des accidents. D’autres crimes sont même oubliés parce que personne ne dépose de plainte ou suit l’affaire. 

Il y a des victimes dans toutes les classes sociales. Et la plupart des criminels sont des hommes qui font partie du cercle familial proche : ce sont des maris, des pères ou des cousins.

« Une femme n’a aucun droit de regard sur son corps, sa sexualité ou sa vie sentimentale »

 

Les «  »crimes d’honneur » » sont plus importants dans ces régions car elles sont très conservatrices et parce que la notion d’ordre social y est très présente. Dans ces régions, l’individualité n’a pas de sens : si quelqu’un est déshonoré, ou a commis un fait considéré comme honteux, c’est toute la communauté qui est déshonorée. Les femmes ne sont pas considérées comme des individus à part entière, ce sont des objets, qui doivent être protégés par des membres masculins de la famille. Une femme n’a aucun droit de regard sur son corps, sa sexualité ou sa vie sentimentale. 

Si une fille fait quelque chose de « mal », c’est la faute des hommes de la famille. Une énorme pression sociale se forme alors autour de ces hommes, qui sont considérés comme des « gardiens » des femmes, ce qui les contraint à restaurer leur honneur et celui de la communauté.

Quand je dis « faire quelque chose de mal », il peut s’agir de quitter la maison et de se rendre en Turquie pour échapper à un mariage forcé avec un homme violent dans ce cas récent, ou d’échanger quelques messages sur le téléphone portable avec un autre homme dans d’autres cas.

Et restaurer l’honneur, cela peut signifier tuer la femme. Dans ce contexte, cet homme, qui décapite sa femme et parade avec sa tête, ne commet pas ce crime sous le coup de la folie. L’homme derrière la caméra le félicite. Ce sont des assassinats planifiés et décapiter les victimes semble être l’une des principales applications de ces « crimes d’honneur ».

L’ONG Reihaneh, basée au Khuzestan, estime que ces deux dernières années, 60 femmes ont été tuées dans des «  »crimes d’honneur » ». Certaines avaient entre 10 et 15 ans. 

« C’est notre tradition, nous nettoyons notre nom »

Fatemeh Hassan poursuit :

Dans de nombreux cas, lorsque nous demandons aux criminels pourquoi ils ont tué leur fille, leur femme, leur sœur ou leur cousine, ils répondent : « Si nous ne le faisions pas, nous ne pourrions plus lever la tête dans la rue », ou  « C’est notre tradition, nous nettoyons notre nom ». Certains ont même suggéré qu’ils ne voulaient pas le faire mais que la pression sociale les poussait à agir.

Si les pratiques et les coutumes locales participent de ce phénomène, le peu de sanctions prévues par la loi iranienne n’aide pas à faire évoluer les choses. Voire les aggrave : 

Les féminicides ou les « crimes d’honneur » n’ont jamais été reconnus par la loi de la République islamique. Ces meurtres sont parfois même encouragés. 

Selon l’article 630 de la loi de la République islamique, si le mari voit que sa femme a une relation avec un autre homme et qu’il comprend qu’elle a été consentante, il peut tuer les deux. Mais si la femme n’était pas consentante, le mari peut tuer seulement l’homme. En réalité, ce qui se passe dans les tribunaux, c’est que le mari prétend que sa femme le trompait, qu’il en est sûr, et il repart libre. Au mieux, il paie une amende. Concernant les infanticides, selon les lois, si un père tue ses enfants, il encourt entre trois et dix ans de prison.

Vue satellite du quartier pauvre de « Kassaei » à Ahvaz, où la video a été tournée. ©

Selon l’ONG Reihaneh, ces deux dernières années, aucun homme n’a été sanctionné pour les 60 «  »crimes d’honneur » » commis au Khuzestan, bien qu’aucune plainte n’ait été déposée par les familles de ses victimes.

Dans une interview accordée à des médias iraniens, le père de Mona a décrit son gendre comme « un sportif qui avait donné une bonne vie à [sa] fille ». Il a cependant affirmé avoir déposé plainte. 

En août 2020, un homme a été condamné à 9 ans de prison pour avoir tué sa fille de 14 ans, après qu’elle se soit échappée avec son petit ami, majeur. Le 14 juin 2020, une autre femme avait été décapitée par son mari. La cour ne s’est toujours pas prononcée sur d’éventuelles sanctions. 

« Il nous faut des lieux sûrs pour les victimes de violences domestiques »

Pour notre Observatrice, les lois doivent changer en Iran pour enrayer ce phénomène : 

Nous avons un besoin urgent de lois qui protègent d’abord les femmes. Nous devons aussi apprendre aux gens, surtout dans les régions tribales, qu’ils doivent respecter la loi et ne peuvent pas juger et condamner par eux-mêmes. Il faut aussi leur apprendre à reconnaître les droits des femmes dans ces régions, où elles sont considérées comme des objets qui appartiennent à la tribu. 

Il nous faut aussi des lieux sûrs pour les victimes de violences domestiques dans ces régions. La télévision publique doit arrêter de justifier les violences domestiques, et les «  »crimes d’honneur » », et de promouvoir l’idée que les femmes appartiennent aux hommes dans les films et les séries. 

L’Iran est l’un des six pays au monde à n’avoir pas signé la Convention sur l’élimination de toute de discrimination envers les femmes. Après l’assassinat de Mona, plus de 1 000 activistes des droits des femmes ont signé une pétition, appelant l’ONU à contraindre le gouvernement iranien à prendre des mesures pour mettre fin aux violences domestiques. 

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