Publié le : 14/02/2022 – 17:59
Certains des principaux groupes Facebook de soutien aux “convois de la liberté” ont été créés dans des pays apparemment sans rapport avec ce mouvement de contestation d’origine canadienne débuté fin janvier, comme le Bangladesh.
Facebook a entamé le grand ménage dans la nébuleuse des groupes, pages, comptes qui font la promotion des « convois de la liberté ». Les principales pages de soutien aux camionneurs canadiens qui bloquent Ottawa depuis le 29 janvier ont été censurées, tout comme plusieurs comptes liés à la version australienne de ce mouvement. Un tour de vis qui survient alors que le rôle “d’acteurs étrangers” – installés en Roumanie, au Bangladesh ou au Vietnam – dans cette mobilisation a été mis en évidence par plusieurs médias et des centres de recherche sur l’extrémisme en ligne, comme le Shorenstein Center de l’université de Harvard.
Un Bangladais épris de liberté ?
“Exprimer son opposition aux gouvernements n’est pas contraire aux règles de Meta [la maison mère de Facebook]. Cependant, nous avons ôté de notre plateforme plusieurs pages et groupes qui ont violé de manière répétée nos règles relatives aux contenus liés à QAnon [le mouvement conspirationniste pro-Trump] et qui étaient gérés par des spammeurs depuis différents pays”, a précisé Facebook à la chaîne américaine NBC, samedi 12 février.
C’est ainsi que le couperet est tombé sur “Freedom Convoy 2022” et “Convoy to Ottawa 2022”, deux des plus importants groupes de soutien aux mouvements canadiens qui ont fédéré, depuis fin janvier, plus de 170 000 internautes se disant opposés aux mesures gouvernementales contre l’épidémie de Covid-19. Pas étonnant : selon le site américain d’information The Grid, ces pages ont été créées et sont gérées, depuis le début du mouvement, par une société de marketing au Bangladesh dont on peine à voir le rapport avec des camionneurs canadiens en colère.
“J’ai choisi d’ouvrir ces pages car je crois en la liberté et je veux soutenir le droit de ces manifestants à circuler librement”, a assuré à The Grid Jakir Saikot, le PDG bangladais de la société JS Digital Guide et du portail d’information Sokal News. Le chef d’entreprise a précisé avoir agi seulement “par attachement à ces principes” et jure n’avoir touché aucun centime en échange de sa promotion des “convois de la liberté”.
Le problème est que JS Digital Guide ne semble avoir aucune existence en dehors de Facebook. Idem pour Sokal News, présenté comme un site d’informations en continu dont on ne trouve aucune trace sur le Web, a constaté l’étudiante américaine en communication Tanya Pobuda, qui a été la première à noter le lien entre les principaux groupes Facebook de soutien aux manifestants canadiens et cet entrepreneur bangladais aux multiples casquettes.
Another admin is the purported CEO of Sokal News, described as 24×7 Bangla Online news portal from Bangladesh, « the fastest growing Bangla-language news portal. » Given discussions of foreign influence guiding these occupations, this is notable. 3/
— Tanya Pobuda, Black Lives Matter (@PobudaTanya) February 5, 2022
L’engagement de Jakir Saikot est-il réellement désintéressé ? Le PDG a tenu un tout autre discours lors du Programme pour le journalisme d’investigation de l’Université de Berkeley. Contacté la semaine dernière par Nazmul Ahasan, un Bangladais qui participe à cette initiative journalistique de l’université américaine, Jakir Saikot a soutenu qu’il recevait l’équivalent de 23 dollars par jour pour promouvoir les « convois de la liberté » sur les réseaux sociaux. Il a aussi affirmé travailler en étroite collaboration avec “certains des principaux organisateurs” de ce mouvement.
Un militant créé par l’IA
Des Bangladais sont également soupçonnés d’être à l’origine de plusieurs groupes de soutien sur Facebook de la version australienne des « convois de la liberté », a découvert Crickey, un site australien d’information.
De son côté, Facebook a reconnu que des ressortissants bangladais semblaient avoir multiplié les pages pro-« convois de la liberté » dans plusieurs pays. Un phénomène également repéré par le réseau social en Roumanie et au Vietnam. Dans ce dernier cas, il semblerait que les Vietnamiens ne se limitent pas à ouvrir des pages et à les animer, mais ils vendent aussi une multitude de faux comptes “qui ont l’air aussi vrai que possible et peuvent ensuite être utilisés pour promouvoir des marques de tee-shirt ou lancer des campagnes d’influence”, précise Joan Donovan, directrice de recherche au Shorenstein Center de l’université de Harvard, interrogé par la chaîne américaine NBC.
Et certaines de ces pages sont même animées par des individus qui n’existent pas. C’est le cas en Australie, où First Draft News, une organisation de lutte contre la désinformation, affirme que James Rhondes, l’administrateur de l’un des principaux groupes assurant la promotion des « convois de la liberté », a été créé par une intelligence artificielle. Du moins, l’image utilisée pour le compte de ce “militant” présente trop de micro-anomalies pour ne pas être le résultat d’un montage assisté par un algorithme.
Motif politique ou financier ?
Cette apparition d’acteurs étrangers qui alimentent la contestation rappelle la campagne d’influence menée par les agents russes durant l’élection présidentielle américaine de 2016. À l’époque, il ne s’agissait pas de Bangladais mais de Macédoniens qui avaient créé “toute une industrie de la désinformation » pour nourrir les dissensions internes à l’électorat américain et influencer le vote.
Mais cette fois-ci, a priori, pas de Russes à l’horizon. Le Bangladais derrière les groupes de soutien aux camionneurs canadiens a affirmé avoir agi pour le compte de clients américains qui cherchent des “thématiques porteuses sur les réseaux sociaux” pour vendre des produits, a-t-il expliqué à Nazmul Ahasan de l’université de Berkeley. En clair, il aurait créé ces groupes Facebook pour tenter d’attirer des sympathisants des camionneurs canadiens, et les rediriger ensuite vers des sites d’e-commerce où leur sont proposés des produits plus ou moins en rapport avec les « convois de la liberté ».
C’est aussi ce que le Shorenstein Center de l’université de Harvard a constaté. La plupart des groupes Facebook analysés font aussi la promotion d’accessoires pro-Trump, comme des tee-shirts ou des casquettes, ainsi que pour des produits antivaccination.
Dans le cas de l’Australie, les administrateurs des groupes Facebook ont appelé à verser des dons sur des faux sites par solidarité avec les camionneurs, et ont aussi créé des “pseudo-retransmissions en direct des manifestations au Canada” qu’on ne peut regarder qu’en donnant son numéro de carte bancaire. Comme l’explique à NBC Joan Donovan, du Shorenstein Center, “les campagnes de désinformation les plus sophistiquées apparaissent lorsque des sujets politiques peuvent être exploités à des fins financières”.
L’article Du Canada au Bangladesh, les étranges réseaux de soutiens aux “convois de la liberté” est apparu en premier sur zimo news.