Après l’interdiction initiale de leur manifestation, prévue mercredi, par la préfecture de police de Paris, les « Hijabeuses » ont finalement obtenu la suspension de l’arrêté par le tribunal administratif de Paris. Une victoire pour ces sportives qui revendiquent le droit de porter le voile lors des compétitions. Elles militent contre un amendement à la proposition de loi de La République en marche (LRM) relative au sport. L’affaire agite la classe politique à deux mois de la présidentielle.
Mercredi, 18 h 30, une dizaine de « Hijabeuses », un collectif de footballeuses qui milite pour le droit de porter le voile lors des compétitions sportives, s’est rassemblée sur une pelouse située en face de l’esplanade des Invalides.
« Football pour toutes », « Laissez-nous jouer » : banderoles déployées, les jeunes joueuses s’improvisent, dans une ambiance bon enfant, un match dans la pénombre, éclairée par des flashs de téléphones et des projecteurs de lumière.
Plusieurs membres du collectif « Les Hijabeuses », accompagnées de militants de l’association Alliance citoyenne, face à l’Esplanade des Invalides, où devait avoir lieu la manifestation, mercredi 9 février 2022. © Soraya Boubaya
Une heure plus tôt, le tribunal administratif avait suspendu l’arrêté préfectoral interdisant le rassemblement des « Hijabeuses », prévu le jour même à 16 h 30, sur l’esplanade des Invalides, près de l’Assemblée nationale. Les jeunes femmes avaient prévu de manifester contre un amendement interdisant « le port de signes religieux ostensibles » lors d’événements sportifs, et qui était discuté ce mercredi par les députés.
Dix jours auparavant, elles avaient déjà organisé un match de football dans le jardin du Luxembourg, au pied du Sénat, quelques jours après le vote de l’amendement porté par les sénateurs Les Républicains (LR), adopté par 160 voix pour et 143 contre. Ce vote est survenu dans le cadre de l’examen de la proposition de loi sur le sport de LRM.
À l’annonce de la décision du tribunal administratif, les joueuses ont souhaité se retrouver pour célébrer ce qu’elles estiment être leur victoire. « On a tenu à venir pour la symbolique. Quand on a appris à 17 h 45 que l’interdiction de la Préfecture de police était suspendue, on s’est dit qu’on allait venir ici car on a gagné », explique Anna Agueb-Porterie, militante chargée d’organiser les communautés d’habitants à l’échelle locale au sein de l’association Alliance Citoyenne, qui lutte aux côtés des « Hijabeuses ».
« Islam politique »
Vingt-quatre heures plus tôt, la préfecture de police de Paris, estimait : « Il est à craindre que cette manifestation attire, outre les personnes qui la soutiennent, des personnes hostiles à la cause défendue et susceptibles d’en découdre avec les premiers ».
Elle évoquait également un « clivage important au sein de la société entre partisans de l’affirmation d’un islam politique, qui prône le port du voile par les femmes, et partisans des valeurs d’égalité entre les femmes et les hommes » et mettait en avant le « contexte électoral actuel », à deux mois de l’élection présidentielle.
Le préfet de Police prend un arrêté d’interdiction d’une manifestation susceptible de créer des troubles à l’ordre public.
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— Préfecture de Police (@prefpolice) February 8, 2022
Pour le collectif, qui revendique près d’une centaine de membres partout en France, ces arguments « scandaleux » « ne reposent sur rien d’autre que des préjugés racistes et une confusion politique délibérément entretenue ».
Les militantes ont salué la décision du tribunal administratif qui a estimé mercredi que l’arrêté préfectoral constituait « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du droit de manifester », la condamnant à verser 1 000 euros d’amende à l’association « Les Hijabeuses » et à la Ligue des Droits de l’Homme (LDH).
Tempête politique
Sujet clivant, l’amendement qui fait débat dans les deux chambres du parlement a aussi suscité de nombreuses réactions au sein de la classe politique.
Le député LR Eric Ciotti, conseiller de Valérie Pécresse, a fustigé mercredi une « soumission » à l’islamisme de la majorité et de l’exécutif, qui refusent d’inscrire dans la loi l’interdiction du voile dans les compétitions sportives.
De son côté, Régis Juanico (PS) s’est élevé contre les propos de l’élu des Alpes-Maritimes affirmant que le sport est « porteur d’intégration, de fraternité républicaine, pas de haine ou de division ». L’ancienne ministre Marie-George Buffet (PCF) a, elle, appelé à la « confiance » pour que « la laïcité, la neutralité soient au cœur de nos pratiques sportives ».
Interrogée sur les « Hijabeuses », la ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno, a estimé jeudi que les femmes « ont le droit de porter le voile islamique pour jouer » sur un terrain de foot.
« La loi dit que ces jeunes filles peuvent porter le voile et jouer au foot. Sur les terrains de foot aujourd’hui, il n’est pas interdit de porter le voile. Je veux qu’on respecte la loi », a ajouté la ministre sur LCI.
La FFF en ligne de mire
Ce nouveau rebondissement ne fait pas oublier aux footballeuses le combat qui anime le collectif depuis 2020 : obtenir l’abrogation de l’article 1 de la Fédération française de football (FFF), qui interdit « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ». Une interdiction que les sénateurs veulent étendre à l’ensemble des fédérations.
En novembre 2021, le collectif avait saisi le Conseil d’État, visant l’article 1 du règlement de la FFF.
« Notre objectif est de lutter contre l’exclusion et l’interdiction des femmes qui portent le voile dans les compétitions sportives. Aujourd’hui je pense qu’on n’a pas à devoir choisir entre porter son voile et faire du sport. Il faut revenir sur le droit, sur ce que dit la liberté de conscience, la laïcité, et dès qu’on prend conscience que le droit est de notre côté, on se rend compte qu’on est légitimes », affirme Inès, 21 ans, secrétaire générale de l’association des « Hijabeuses ».
« Ce qu’on demande aujourd’hui, c’est que la FFF modifie son règlement et permette à toutes les femmes de pouvoir s’exprimer, jouir de leur passion et participer aux compétitions sans avoir la boule au ventre ou le stress de se demander ‘est-ce que je vais pouvoir jouer ou pas aujourd’hui ?’ », poursuit la jeune femme.
Soutiens sportifs
Lancé en 2020, le mouvement organise des matchs, des sit-in, et des actions via les réseaux sociaux, pour interpeller la FFF qui, contrairement à la FIFA, refuse l’accès des footballeuses qui portent le voile aux compétitions sportives officielles.
Présente ce mercredi soir, Zamya, stagiaire au sein d’Alliance citoyenne depuis six mois, et membre du comité des « Hijabeuses », est venue soutenir le collectif.
« J’adore le foot, et quand je les ai vu jouer, je me suis dit que ce n’était pas possible qu’elles ne puissent pas participer à des compétitions juste parce qu’elles portent un voile. Elles ont un talent de fou. On a des Mbappé, des Ronaldinho, j’abuse même pas (rires). Donc là, je suis soulagée. Le combat continue. Notre objectif reste que la FFF autorise le port du voile en compétition. Prochaine étape, la FFF ! »
Si elles ont été privées de leur manifestation, elles ont obtenu le soutien d’une cinquantaine de personnalités du monde du sport – Lilian Thuram, Audrey Tcheuméo ou encore Candice Prévost – qui ont signé une tribune intitulée « Laissez jouer les hijabeuses ! », publiée dans Libération.
Les deux chambres n’ayant pu s’entendre, le texte doit repasser par le Sénat le 16 février, avant de retourner à l’Assemblée pour une adoption définitive le 24 février. Les députés auront le dernier mot.
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