Publié le : 10/02/2022 – 17:31
Le Premier ministre de transition Ariel Henry a justifié, lundi, son maintien au pouvoir en Haïti, profitant d’un vide juridique sept mois après l’assassinat de Jovenel Moïse. Mais il est contesté pour « son manque de légitimité », selon le chercheur Frédéric Thomas contacté par France 24, d’autant plus depuis de nouvelles révélations pointant sa responsabilité dans l’enquête autour de la mort du président haïtien. Interview.
Le 7 février est un jour important en Haïti. Il marque, en 1986, la chute de la dictature des Duvalier et aurait dû être, il y a quelques jours, une journée de passation du pouvoir présidentiel comme la Constitution du pays le prévoit. Mais il n’en a rien été. Le Premier ministre, Ariel Henry, – arrivé au pouvoir pour assurer la transition après l’assassinat de Jovenel Moïse, en juillet 2021 – a justifié son maintien à la tête du pays.
Depuis le début de l’année, une autre voie politique pour Haïti se dessine : plusieurs groupes de l’opposition ont organisé des réunions dans le pays et aux États-Unis, afin de nommer des dirigeants pour un éventuel régime de transition.
Outre cette tentative de consensus, le Premier ministre haïtien doit aussi faire face ces derniers jours à des informations, révélées par CNN, qui pointent sa responsabilité dans l’enquête sur l’assassinat du président haïtien il y a sept mois. Frédéric Thomas, docteur en science politique, chercheur au Centre tricontinental (CETRI) à Louvain et spécialiste d’Haïti, fait le point sur la situation pour France 24.
France 24 : comment définiriez-vous la situation politique actuelle en Haïti ?
Frédéric Thomas : c’est une impasse. On est face à une crise politique très forte avec un blocage institutionnel important et un Premier ministre de transition dont le reste de légitimité a disparu le 7 février (le mandat présidentiel s’achève à cette date-là d’un point de vue constitutionnel, NDLR). Il est à la tête d’un gouvernement illégitime et discrédité mais il refuse de quitter le pouvoir.
À côté de cela, il y a un large consensus autour de partis politiques et d’organisations civiles qui revendiquent une transition de rupture soutenue par la population haïtienne. Mais ce consensus n’a pas le soutien international – à la différence du pouvoir en place – et fait face au refus du Premier ministre d’accepter ce processus de transition.
Pourquoi la légitimité du Premier ministre haïtien Ariel Henry est-elle remise en cause ?
L’origine de son arrivée au pouvoir a été en elle-même source d’un manque de légitimité : Ariel Henry a été nommé deux jours avant l’assassinat du président Jovenel Moïse – qui était lui-même contesté et poursuivait un mandat qui devait avoir pris fin – et il a été ‘intronisé’ par la communauté internationale.
Son bilan, sept mois plus tard, est catastrophique : la situation socio-économique du pays se dégrade un peu plus (Haïti reste l’un des pays les plus pauvres du monde selon la Banque mondiale, NDLR), au niveau de la sécurité il n’y a aucune avancée dans les enquêtes sur la corruption et les massacres en Haïti, aucune avancée non plus sur l’assassinat de Jovenel Moïse. À cela s’ajoute que la responsabilité d’Ariel Henry est mise en cause dans cette dernière affaire. Tout cela combiné fait qu’il n’a aucune crédibilité auprès de la population haïtienne.
En quoi les récentes révélations de CNN sur l’assassinat du président haïtien fragilisent-elles encore plus la position d’Ariel Henry ?
Les informations sur la responsabilité d’Ariel Henry avait déjà été émise ces derniers mois et se précisent ces derniers jours. On sait qu’il a eu un contact dans la nuit de l’assassinat de Jovenel Moïse avec l’un des principaux suspects qui est en fuite (Joseph Felix Badio, NDLR). Différentes sources parlent de contacts du Premier ministre avec cette personne après l’assassinat, on le soupçonne aussi de bloquer l’enquête en cours. Tout cela enlève un peu plus de crédit à Ariel Henry.
Comment cette personne-là va-t-elle pouvoir mettre en place les conditions pour des élections crédibles et légitimes en Haïti ? Cette affaire confirme la défiance de la population haïtienne à son égard, et le fait qu’il n’a aucune crédibilité pour mettre en place une passation de pouvoir dans les prochains mois.
Quelle issue politique est aujourd’hui possible en Haïti ?
La seule possibilité, à mon sens, est une véritable transition de rupture telle que certains la souhaitent. Pour cela il faudrait qu’il y ait un rapport de force mais il y a deux blocages avec l’oligarchie en place en Haïti et le soutien international au gouvernement actuel. Le consensus existe aujourd’hui autour de l’accord de Montana (qui propose une transition de deux ans pour refonder l’État haïtien, NDLR), et le premier pas c’est que tous les acteurs appuient cette transition.
Mais penser qu’organiser des élections soit aujourd’hui possible en Haïti, c’est tout à fait illusoire et absurde. Les gangs armés contrôlent 60 % de la capitale Port-au-Prince – touchée par les enlèvements et les assassinats –, Ariel Henry n’a pas la légitimité pour mettre en place ces élections et surtout une grande partie de la population n’en veut pas, estimant qu’un scrutin organisé dans ce contexte ne serait pas crédible. Le taux de participation était seulement de 20 % aux dernières élections, en 2016, soit l’un des plus bas au monde.
Par ailleurs, le gouvernement actuel prétend depuis sept mois vouloir organiser des élections mais il n’a rien fait pour que cela arrive. La date du 7 février marquait un garde-fou institutionnel en Haïti : aujourd’hui, il n’y a plus d’échéance constitutionnelle qui limite ou cadre le pouvoir en place.
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