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Au Kenya, l’élevage d’insectes se développe pour renforcer la sécurité alimentaire

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Deux des soixante-dix-huit employés de la ferme Insectipro sont chargées de séparer les mues des larves de mouches soldats noires du substrat de production pour pouvoir les exploiter. CHLOE ALRAMAMNEH

Passée la porte en tôle du bâtiment, un chant assourdissant accueille le visiteur. Celui des millions de criquets que l’entreprise Insectipro produit industriellement sur une exploitation horticole en banlieue de Nairobi, la capitale du Kenya. Demain, certains seront vendus entiers et séchés, sous forme de chips assaisonnés. « Ainsi, ils permettent de montrer au consommateur que manger des insectes n’est pas effrayant », explique Talash Hujibers, la jeune fondatrice d’Insectipro.

Lancée en 2018, la start-up produit chaque jour 10 kg de criquets, mais surtout une tonne de mouches soldats noires séchées réservées à des fabricants de nourriture animale. Elle participe à la floraison d’initiatives scientifiques et commerciales qui ont cours depuis une dizaine d’années autour des insectes comestibles au Kenya, où est implanté le Centre international de physiologie et d’écologie des insectes (Icipe).

Sauterelles, fourmis noires, criquets pèlerins, mouches, termites : entre 25 et 50 espèces consommables ont été répertoriées dans le pays, principalement dans les régions de l’ouest où le climat est favorable. De nombreux programmes de recherches au Kenya s’intéressent au potentiel de ces insectes et reçoivent des financements d’une dizaine de gouvernements étrangers, de centres de recherches et d’institutions internationales comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ou la Banque mondiale.

Objectif : parvenir à développer les nouvelles protéines qui permettront de nourrir 8,5 milliards de personnes en 2030 sur une planète dont les ressources naturelles sont fortement sous pression. L’enjeu est d’autant plus crucial en Afrique subsaharienne où environ un habitant sur cinq souffre aujourd’hui de malnutrition.

Encore de nombreuses réticences

Or les insectes contiennent, une fois séchés, entre 40 % et 75 % de protéines selon les espèces, mais aussi des graisses, des vitamines et des minéraux et plus d’acides aminés que les plantes. Et leur production « nécessite moins de terres arables, moins d’eau et a une faible empreinte écologique » précise le docteur Chrysantus Mbi Tanga, chercheur en chef au sein de l’Icipe.

Si l’entomophagie (la consommation d’insectes par l’être humain) suscite encore de nombreuses réticences, la Banque mondiale estime qu’entre 1 et 2 milliards de personnes dans le monde se nourrissent déjà d’insectes, essentiellement prélevés dans la nature.

Les mues des larves de mouches soldats noires élevées par Insectipro sont envoyées à des laboratoires scientifiques qui mènent des recherches sur les composants susceptibles d’intéressés l’industrie pharmaceutique. CHLOE ALRAMAMNEH

L’institution a publié le 19 janvier un rapport sur l’élevage d’insectes et la culture hydroponique (culture hors-sol se pratiquant sur un substrat neutre) en Afrique qui recense l’existence de 850 « fermes d’insectes » destinés à la consommation humaine et animale sur le continent. Notamment au Kenya où des normes gouvernementales ont été mises en place entre 2017 et 2021 pour encadrer le marché, alors que des sociétés comme Insectipro apparaissent tous les ans.

Dans le pays d’Afrique de l’Est, l’autre grand producteur est Sanergy. Cette entreprise de plus de 400 employés met la capacité de recyclage des mouches soldats noires au service de la gestion de déchets organiques. Créée en 2011 à l’initiative d’étudiants du Massachusetts Institute of Technology (MIT), opérationnelle à Nairobi et bientôt à Kisumu et Kilifi, deux autres grandes villes du Kenya, la start-up récolte quotidiennement les déjections humaines de toilettes qu’elle a installées dans les bidonvilles.

Des effets bénéfiques pour les humains

Ajoutés aux résidus des marchés de fruits et légumes, les déchets servent de nourriture aux mouches qui en recyclent 70 000 tonnes par an. Les insectes, après contrôle sanitaire, finissent en nourriture animale ; les restes de leur digestion deviennent un engrais naturellement très riche ou sont transformés en briquettes de biomasse pour la combustion.

La consommation de viande est en augmentation dans le pays, mais se heurte à des coûts de production importants à cause de l’alimentation des bêtes qui représente entre 60 % et 70 % des frais. Les protéines destinées à l’élevage proviennent essentiellement du soja, importé et donc soumis à des droits de douane, et du poisson.

D’après l’Icipe, 4 % de l’alimentation animale annuelle du Kenya est actuellement assurée par des protéines d’insectes, mais ce ratio pourrait atteindre 40 % d’ici à deux à trois ans. « D’après nos observations, les poulets nourris aux insectes grandissent mieux et ils développent plus de viande que de gras », révèle le docteur John Kinyuru, chercheur en alimentation et nutrition à l’université agricole Jomo Kenyatta (Jkuat).

Les travaux de l’université ont également mis en évidence des effets favorables pour les humains. « Manger des insectes permet le développement des micro-organismes et bactéries bénéfiques au système digestif. Cela se traduit par une meilleure immunité, une réduction des bactéries nocives et donc une meilleure santé ! », affirme le docteur Kinyuru.

L’Icipe a établi il y a deux ans que l’huile issue des insectes était plus riche en acides gras oméga-3, en antioxydants et en vitamine E que les huiles végétales. Des nutriments nécessaires à la défense contre les agents pathogènes, la prévention des maladies cardiaques, aux agents anticancéreux et anti-inflammatoires. Malgré ces découvertes, il reste de nombreuses inconnues sur la physiologie des insectes. Surtout, le plus grand défi pour cette nouvelle industrie est désormais de réussir à passer à une production de masse.

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