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Karamo Touray, un jeune militant écologiste originaire de Gunjur en Gambie, souhaite le départ de l’usine chinoise Golden Lead. THEA OLLIVIER POUR « LE MONDE »
Une haute palissade rouillée sépare le jardin potager des énormes silos de l’usine de farine de poisson de l’entreprise chinoise Golden Lead. Ici, dans la petite ville côtière de Gunjur, à 50 kilomètres au sud de Banjul, la capitale de la Gambie, des femmes essaient encore tant bien que mal de faire pousser des légumes.
Mais, malgré la clôture, l’agricultrice Fatou Maneh constate avec dépit que les plants d’aubergines ont été inondés par une eau jaunâtre qui s’échappe en continu de l’usine et se déverse dans les cultures maraîchères. « La plupart de la production sert à nourrir directement ma famille et je vends le surplus. Nous nous battons pour garder ces champs car, si je ne travaille pas ici, où est-ce que je peux aller ? », se désole la mère de famille.
Implantée depuis 2016, la société Golden Lead a très vite tenté d’agrandir son site. C’était sans compter la colère des habitants. Après une plainte initiée en 2017 par des membres de la société civile locale, l’affaire a été jugée le 2 décembre 2021 au tribunal de Banjul. Depuis, une ordonnance a été rédigée pour interdire tout projet d’extension sur les terres cultivables du village.
Mais la décision n’a pas été officialisée, l’entreprise chinoise ne l’ayant pas encore signée. Et la bataille est loin d’être terminée. Une autre plainte a été déposée pour protester contre la pollution de la rivière et les dégâts pour l’environnement engendrés par l’activité de l’usine. L’affaire devait être présentée le 14 décembre au tribunal, mais l’audience a été reportée sans qu’aucune échéance ne soit fixée.
Atermoiements de la justice
Des affaires qui dérangent, alors que les relations diplomatiques – rompues pendant vingt et un ans – entre le gouvernement gambien et la Chine ont repris en 2016, contre la promesse de n’entretenir aucune relation officielle avec Taïwan. L’ancien dictateur Yahya Jammeh avait misé sur les investissements du géant asiatique pour relancer une économie en difficulté. L’actuel président Adama Barrow a maintenu ce cap, comme il l’a affirmé à son homologue chinois Xi Jinping, rencontré à Pékin en 2017, l’année de son arrivée au pouvoir.
Les atermoiements de la justice sont une déception pour Ahmed Manjang, un militant écologiste de Gunjur. En 2017, ce dernier avait découvert, stupéfait, une eau rouge et de l’huile flottant à la surface de la lagune, ainsi que des poissons et des crabes morts aux abords de la mangrove. « Les problèmes ont commencé quand ils ont déversé leurs déchets non traités dans l’environnement, puis dans la mer via des tuyaux qui vont à plus de 300 mètres dans la mer », explique-t-il.
L’usine chinoise de farine de poisson Golden Lead est installée à Gunjur depuis 2016. THEA OLLIVIER POUR « LE MONDE »
Aussitôt, il contacte l’agence nationale environnementale, qui commence par prendre le dossier à bras-le-corps en accusant Golden Lead de déverser ses eaux usées sans autorisation. Mais l’agence retire finalement sa plainte contre des promesses de réparations de la part de l’entreprise chinoise.
Ahmed Manjang pointe du doigt la corruption et assure que c’est l’intervention du gouvernement qui a bloqué la procédure. Le secrétaire général du ministère de la pêche a d’ailleurs été suspendu de ses fonctions en octobre 2020 suite à des suspicions de corruption avec des industriels chinois.
Phosphate, nitrogène, arsenic
Microbiologiste de formation, Ahmed Manjang décide alors de prendre l’enquête en main. En 2017, il prélève un extrait de l’eau rougeâtre et un échantillon de déchets à l’intérieur de l’usine, qu’il envoie à un laboratoire en Allemagne pour les analyser et vérifier que les deux sont bien liés. Les résultats sont alarmants.
« Les indicateurs concernant le phosphate ou le nitrogène sont 40 fois plus élevés que les standards internationaux », note le biologiste, également préoccupé par la présence d’arsenic, une substance chimique extrêmement toxique et cancérigène. Interrogé à ce sujet, le ministère de la pêche n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Karamo Touray, jeune militant écologiste local, jette un regard désapprobateur sur l’usine et ses cheminées. La silhouette imposante du complexe industriel casse l’image de carte postale de la longue plage blanche qui borde Gunjur où les pêcheurs vont et viennent, déchargeant leurs pirogues de lourds paniers de poissons.
« Gunjur n’attire plus les touristes étrangers ou locaux depuis que les Chinois sont arrivés. Avant, des petites boutiques vendaient des jus frais à la place de l’usine qui dégage maintenant une odeur nauséabonde », constate Karamo Touray, qui se dit prêt à se battre. « Très peu de personnes de notre communauté ont profité de leur installation », tranche-t-il.
« Ils pillent toutes nos ressources »
A son arrivée, Golden Lead avait pourtant promis, assure Karamo Tourau, d’aménager le marché aux poissons, de créer 600 emplois et de construire une route goudronnée pour remplacer la piste entre le village et le quai de pêche. Mais rien de tout cela ne s’est réalisé. Dans cette localité qui vit essentiellement du produit de la pêche, les femmes qui s’occupaient de transformer la ressource en poisson séché ou braisé, des aliments très prisés dans la région, ont même perdu du travail.
« Le prix du panier de poisson a augmenté de 50 dalasis à 350, voire 500 dalasis [de 0,8 euro à 8 euros]. Les pêcheurs préfèrent alors vendre aux Chinois dont les besoins sont tellement grands que, parfois, ils achètent tout. Et je n’ai plus rien à transformer », se plaint Anta Jobe, 40 ans et mère de huit enfants.
Selon Greenpeace, plus de 500 000 tonnes de poissons sont prélevées chaque année dans les eaux ouest-africaines et sont transformées en farine ou en huile pour l’aquaculture et l’alimentation animale, principalement à destination des marchés européens et asiatiques.
Dans le village, des pêcheurs partagent un thé, préparé sur un petit réchaud au charbon. Tous affirment que les prises sont nettement moins bonnes depuis que l’usine est installée à Gunjur. « Avant, je revenais de la pêche avec 200 à 250 paniers de poisson. Depuis que les Chinois sont ici, je n’en prends que 25. Et chaque année cela diminue », précise Salif Ndoure, pêcheur qui refuse de vendre quoi que ce soit aux Chinois.
« Ils pillent toutes nos ressources, ils ne respectent pas la mer, ils attrapent même les juvéniles [les poissons jeunes qui, normalement, ne doivent pas être pêchés pour leur permettre de grossir et de se reproduire] et ils cassent les habitats de reproduction », dénonce le pêcheur. Lui n’attend qu’une chose : que l’usine disparaisse.
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