Barricades et camions de marchandises bloquées : au Soudan, la contestation gagne le Nord paysan

Publié le : 07/02/2022 – 16:28Modifié le : 07/02/2022 – 17:15

Tout a commencé le 9 janvier, quand des centaines de paysans dans la région d’Ed-Debba ont bloqué le passage aux camions de marchandises sur la route nationale menant vers la frontière égyptienne pour protester contre une hausse du prix de l’électricité, passé de 9 à 22 livres soudanaises le kilowattheure. Selon le ministère de l’Énergie, cette hausse s’inscrivait dans une série de mesures d’austérité imposées par le Fonds monétaire international (FMI) pour permettre au pays d’éponger sa dette extérieure, estimée à plus de 50 milliards de dollars (soit 43 milliards d’euros). 

Depuis, des barricades ont été érigées en divers points de la route nationale au nord du pays et des centaines de camions transportant des marchandises vers l’Égypte se retrouvent bloqués.

Des camions stationnés le long de la route dans la région d’Ed-Debba, dans le nord du pays, le 2 février 2022. Twitter / @AhmedAltaif_A_W.

Sur cette vidéo, des dizaines de camions sont stationnés sur la bas-côté de la route nationale, près du passage frontalier de Argeen, le 18 janvier 2022. “ C’est la crise, les camions sont arrêtés sur une distance de 15 kilomètres », explique le chauffeur égyptien qui filme.

“Jusqu’ici nous avons intercepté une quarantaine de camions égyptiens”

Yasser est agriculteur. Il participe aux barricades dans la région de Atbara, à 250 km au nord de Khartoum.

Au début, nous voulions obliger les autorités à annuler la hausse du prix de l’électricité. 

Mais désormais, nous en exigeons davantage.  

Les camions de marchandises qui se dirigent vers l’Égypte transportent des produits alimentaires bruts qui sont achetés à bas prix ici par l’Égypte, qui les transforme et les exporte vers l’Europe notamment contre des devises.  

Ces camions transportent du cheptel, du sésame, de l’arachide, de l’oseille, de l’ail, etc.  Nous voulons que les autorités créent des usines au Soudan pour que nos produits soient transformés ici. Cela permettrait de créer des emplois et de développer nos régions, d’exporter nos produits à des prix plus justes.  

La contrebande constitue aussi un problème important. De nombreux camions transportent des produits agroalimentaires et animaux ne disposant d’aucun document attestant qu’ils ont été achetés. Quand nous les interceptons, nous les livrons aux autorités. 

Pour nous, peu importe qui dirige le pays. Que ce soit les militaires ou les civils, les gouvernements successifs n’ont rien fait pour nous soutenir. Nous voulons juste le développement de notre région, nous ne nous inscrivons pas forcément dans les protestations réclamant la mise à l’écart des militaires.

Des paysans bloquent l’accès de la route à des camions de marchandises, dans le nord du Soudan, le 30 janvier 2022. Brandissant des banderoles “La voix du nord”, il chantent et dansent dans une ambiance bon enfant. Twitter / @AbueissaAmel.

>> Lire sur les Observateurs : Au Soudan, « les manifestants sont traqués jusque dans les hôpitaux »

Toutefois, les doléances – au départ économiques – se sont transformées chez une partie des manifestants en revendications politiques, réclamant la mise à l’écart des militaires de pouvoir et le retour à la transition politique interrompue lors du coup d’État du 25 octobre 2021. Ainsi, des “comités de résistance”, sur le modèle des comités qui organisent les manifestations hebdomadaires dans la capitale Khartoum notamment, ont vu le jour récemment dans le nord du pays.

“Il ne peut pas y avoir d’amélioration des conditions socio-économiques sans démocratie”

Originaire de la ville de d’El-Berguig, à plus de 500 kilomètres au nord de Khartoum, Ibrahim est l’un des ces activistes.

La demande de l’annulation du prix de l’électricité est devenue anecdotique pour nous. Il faut d’abord un retour à la transition politique vers la démocratie et la mise en place d’institutions démocratiques. Il ne peut pas y avoir d’amélioration des conditions socio-économiques sans démocratie.  

Aujourd’hui [mercredi 2 février], j’ai participé à la barricade de Hafir [région d’EL Berguig, NDLR]. Il y avait environ 200 camions de marchandises égyptiens stationnés. Des camions transportant du cheptel, de la viande congelée, du coton, entre autres.

Quand les camions sont arrêtés, nous vérifions auprès des chauffeurs si leurs documents sont en règle, s’ils disposent de factures. C’est une façon de lutter contre la contrebande, parce qu’il y de la contrebande de chameaux entre le Soudan et l’Égypte. 

En revanche, nous ne fouillons pas la marchandise, car nous ne nous permettons pas de remplacer la police.

Afin d’éviter les barrages sur la route nationale de l’État du Nord, des camions de marchandises ont tenté ces derniers jours de traverser la frontière égyptienne en passant par la région de Port-Soudan, dans le nord-est du pays. Mais là encore, ils ont été interceptés par des comités de manifestants qui leur ont bloqué le passage, comme le montrent des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.  

Vidéo montrant une enfilade de camions bloqués par les manifestants, à Port-Soudan, le 28 janvier 2022. Twitter / @Moh_Gamea.

Selon l’économiste soudanais Mohamed al-Nayer, cité par le site al-Araby, ces barrages auront des conséquences sur les économies des deux pays, alors que l’exportation des produits soudanais vers l’Égypte constitue 10 % du total des exportations du Soudan. Il a indiqué que le volume des échanges entre les deux pays a dépassé le milliard de dollars en 2021.