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L’Etat actionnaire aux abois

Rares, les satisfecit de la Cour des comptes sont également brefs. Ainsi, dans un rapport publié ce 6 février sur l’Etat actionnaire pendant la crise, les Sages de la rue de Cambon louent-ils la réactivité et l’inventivité des pouvoirs publics lorsque le Covid a déstabilisé l’économie. Ils saluent « des actionnaires publics très vite mobilisés, avec de puissants moyens d’action, et qui ont joué un rôle clé dans quelques opérations d’envergure ».

L’Agence des participations de l’Etat (APE), en première ligne, a mené des « opérations de financement d’urgence ou de recapitalisation de plusieurs grandes entreprises publiques, dont Air France-KLM, Renault, EDF et la SNCF », pointe le document. Au total, plus de 8 milliards d’euros ont été injectés pour les opérations en capital auprès de ces entreprises. En y ajoutant les mesures de soutiens aux filières aéronautiques (dont a bénéficié par exemple Airbus) ou automobile (favorable à Renault), la Cour avance une fourchette de 15,5 à 20 milliards d’euros pour les coûts budgétaires supportés par l’Etat en tant qu’actionnaire. Deux fois le budget du ministère de la Justice.

L’Etat pris en tenaille

Précisément, à peine posés ces compliments, la Cour revêt ses habits de Cassandre. Son inquiétude pour les années à venir : que l’Etat se trouve fort dépourvu au moment même où devra s’accroître son rôle d’appui et de soutien auprès des groupes dont elle détient des parts. Les finances de l’APE ont été affaiblies par l’absence de dividendes pendant la crise. Mais sur ce front, les affaires pourraient reprendre : les analystes financiers prédisent par exemple un rebond de 32% des bénéfices opérationnels de Safran sur 2022, dont l’Etat détient.

Resteront toutefois, fort problématiques, les difficultés de l’Etat pour faire « tourner » son portefeuille, c’est-à-dire céder des participations afin de dégager de nouveaux financements. « Qui voudrait acheter Aéroport de Paris (ADP)? », interroge un bon connaisseur des dossiers. La Cour chiffre déjà à 9 milliards d’euros la perte de recette due au coup d’arrêt de cette privatisation, qui était engagée avant l’apparition du Covid. Avec déjà une conséquence : le fonds d’innovation de rupture que Bruno Le Maire promettait d’alimenter grâce à ces revenus, afin de donner naissance à des Tesla made in France, n’a jamais véritablement démarré.

Coûteuse transition énergétique

Or de tels moyens seront encore plus indispensables dans les prochaines années, tant pour l’APE que pour BPIFrance et la Caisse des dépôts, les trois « bras armés » de l’Etat dans l’économie. Le rapport évoque « les investissements importants liés à la transition énergétique, qui concerneront bien sûr au premier chef EDF » mais aussi « le développement d’avions bas carbone conduira à de substantiels investissements, tant pour la filière aéronautique au sens strict, que pour le transport aérien ».

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Sans oublier les motorisations électriques pour Renault ou encore le développement de la filière hydrogène, dont l’importance a été soulignée dans le plan France 2030, présenté le 12 octobre 2021 par Emmanuel Macron. « Avec une APE impécunieuse et déstructurée, telle qu’elle se dessine, il ne sera pas bon d’avoir l’Etat comme actionnaire, raille un bon connaisseur du secteur public. Le risque est que ce dernier devienne pointilleux plus que stratège, et que ce dernier ne parvienne plus à recruter les talents indispensables pour mener ces missions complexes ». D’autant que, comme le relève la Cour, « au-delà des entreprises à participation publique, l’État semble désormais élargir son action à la sauvegarde d’entreprises stratégiques » qui ne figurent pas dans son portefeuille.

Face à ces difficultés, les Sages incitent la puissance publique à plus de rigueur dans la gestion de ses participations, rappelant leur demande déjà formulée sur ce point dans un rapport publié en 2017. L’Etat devrait ainsi clarifier sa doctrine d’intervention en capital dans les entreprises à participation publique « en précisant les motifs de l’intervention publique ; en définissant les ressources financières mobilisables ; et en veillant à bien articuler les stratégies actionnariales des différents pôles de l’actionnariat public (APE, CDC, Bpifrance) », pointe le rapport publié dimanche soir. Faute d’avoir trouvé un nouveau stock de munitions pour mener l’Etat au combat, la Cour des comptes souhaite à tout le moins que les uniformes soient proprement repassés et les fleurs bien fixées aux fusils.

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