Publié le : 04/02/2022 – 19:16
La vidéo de cette mère de huit enfants enchaînée par le cou au mur d’une maisonnette insalubre à cause de “troubles mentaux” a mis les réseaux sociaux chinois en ébullition. Depuis sa publication le 26 janvier, les autorités ne donnent que peu de détails sur le sort de cette femme.
Elle a les cheveux hirsutes et l’air hagard, se tient raide à l’entrée d’une cabane en brique ouverte sur l’extérieur, et ne porte qu’un petit pull rose malgré le froid du mois de janvier. Une chaîne en métal enroulée autour du cou à l’aide d’un cadenas et rattachée au mur l’empêche d’aller plus loin. Voilà ce que montre la vidéo qui a mis en ébullition les réseaux sociaux chinois en cette semaine de Nouvel An lunaire. Malgré trois déclarations officielles, le destin de cette mère de huit enfants atteinte de trouble mentaux continue de faire débat.
La vidéo a été filmée par un tiktokeur chinois le 26 janvier dernier, de passage dans un village du Jiangsu, province de la côte est chinoise. Ce dernier voulait dénoncer les conditions de vie de la femme sur la vidéo. Il lui pose plusieurs questions, lui demandant si elle a froid, à quoi cette dernière répond en hochant vaguement la tête. Il signale également que le plat servi sur sa table est froid et que la température est proche de zéro. Il finit par aller lui chercher un manteau qu’il lui fait enfiler avant de se filmer à ses côtés et dénoncer : “n’y a-t-il plus aucune compassion ?”
Captures d’écran de la vidéo publiée le 26 janvier sur Douyin, sur un compte désormais inaccessible. © Les Observateurs de France 24
Très vite, la vidéo fait le tour des réseaux sociaux chinois. Beaucoup s’inquiètent et spéculent sur ce qui a amené cette femme à se retrouver dans de telles conditions. On s’interroge par ailleurs sur les conditions qui lui ont permis d’avoir huit enfants, alors que la politique de l’enfant unique ne s’est terminée qu’en 2015 et que trois enfants maximum sont autorisés depuis 2021.
Les autorités du comté de Feng, où se déroule la scène, ont lancé une enquête préliminaire et donné quelques éléments de réponse dans un communiqué publié le vendredi 28 janvier. Elles concluent notamment qu’il ne s’agit pas de trafic humain, l’hypothèse qui revenait le plus souvent sur les réseaux. Le communiqué précise aussi que la femme sur la vidéo, “madame Yang”, est mariée en règle depuis 1998 à son mari, monsieur Dong, et a huit enfants. Ils soulignent également que l’intéressée souffre d’une maladie mentale pour laquelle elle est prise en charge et qu’elle serait parfois violente envers les enfants et les personnes âgées
Une déclaration relativement parcellaire qui n’a fait que relancer la colère et les inquiétudes des internautes. Sur Weibo (équivalent de Twitter en Chine), le hashtag lié à cette déclaration officielle compte 200 millions de visionnages au 4 février 2022 (soit près d’une semaine plus tard). Les internautes soulignent les zones d’ombres de l’affaire, se demandant notamment comment la femme a pu se retrouver enchaînée ou comment les autorités ont pu laisser passer une telle affaire. Et déplorent, comme le souligne le New York Times, que malgré les progrès de la Chine sur les questions liées à la santé mentale, que certaines régions continuent de régler de façon problématique les maladies psychiatriques.
Parmi les images qui circulent autour de l’affaire, une autre vidéo a particulièrement alimenté la polémique. On voit d’abord son mari souriant puis sa fille courir vers elle. La mère de famille, cette fois libérée de ses chaînes- mais l’air tout autant perdu – se tient devant la cabane en brique où elle était enfermée. On l’entend dire : “Ce monde ne veut pas de moi” – une phrase reprise ensuite sur le Web pour la soutenir et demander justice.
徐州八孩母亲说“这个世界不要俺了”
我真觉得她能治好,她心底是清楚的,“疯癫”的状态是应激反应,也是麻痹和保护自己
只要跟屌子彻底切割,接受治疗,她就能醒过来。但这个社会不让她醒!我就这么眼睁睁看着,我好恨! pic.twitter.com/ZM2tJcpzUl
— CY (@CY_897) January 31, 2022
Le mari au cœur des critiques
Le mari, “monsieur Dong”, est tout particulièrement ciblé par les critiques. Remarqué par des tiktokeurs pour sa famille nombreuse, ce dernier possédait une chaîne Douyin (Tiktok) depuis désactivée, où il filmait régulièrement ses 8 enfants, dont 7 fils. Il est d’abord pointé du doigt pour avoir laissé sa femme dans de telles conditions. Au vu de son état mental, certains l’accuse aussi d’avoir profité de l’instabilité mentale de sa femme pour avoir plusieurs enfants et d’avoir abusé d’elle. “Je vais voir si ce violeur sera confronté à la justice” peut-on lire sur Weibo en top commentaire. Plusieurs vidéos de ce dernier mettant en scène ses enfants sur sa chaîne ou dans des interviews ont depuis été republiées sur Weibo, assorties de commentaires l’accusant d’hypocrisie ou de faire de la publicité avec sa famille.
Capture d’écran du compte Douyin du mari (désormais indisponible) prise par le média “What’s on Weibo” pour un article sur le sujet. © What’s on Weibo
L’homme fait désormais l’objet d’une enquête des autorités, qui ont en outre annoncé que madame Yang était actuellement hospitalisée.
Les autorités du comté de Feng ont finalement donné plus de détails dans un communiqué du 30 janvier 2022. Ils précisent que madame Yang avait été recueillie par le père de son mari alors qu’elle mendiait dans la rue en 1998. Son véritable nom est en réalité inconnu et les tests ADN, à l’horizon 2020, n’avaient pas permis de retrouver ses origines. Le communiqué explique ensuite que l’état de madame Yang s’était dégradé durant l’été 2021,et que son mari avait alors commencé à l’enchaîner. On apprend également que madame Yang avait été diagnostiquée d’une schizophrénie par des experts psychiatriques locaux.
Légende : dessin publié sur Weibo pour dénoncer l’hypocrisie du mari. Image repérée par « What’s on Weibo ». © 呀哆
Sur les réseaux sociaux, les spéculations continuent, tandis que l’enquête est toujours en cours. Et le silence de la presse nationale étonne. Une internaute lance cet appel par exemple : “Nous devrions également accorder une plus grande attention au problème de la traite des femmes et des enfants dans notre pays. Ne laissez pas l’incident des huit enfants être éclipsé par la chaleur des Jeux olympiques. (qui commencent ce 4 février NDLR)”.
“Quelle que soit l’attention accordée en ligne, il s’agit toujours de reportages publiés par des médias indépendants, où sont passés les médias officiels ? “ dénonce un autre. La vidéo originale a en outre été supprimée et Weibo aurait censuré plusieurs hashtags associés à la polémique.
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