Publié le : 01/02/2022 – 18:15Modifié le : 04/02/2022 – 18:39
Sur TikTok, avec des vidéos montrant l’eau marron et insalubre qui sort de ses robinets, l’activiste autochtone Brennen McGuire tente d’alerter sur un phénomène qui perdure depuis des décennies : le difficile accès à l’eau propre dans les réserves des peuples autochtones du Canada. Car malgré les promesses du gouvernement de Justin Trudeau et les travaux lancés depuis 2015, des dizaines de réserves à travers le pays n’ont toujours pas accès à de l’eau courante potable.
Brennen McGuire (@slapppps) vit dans le territoire mohawk de Tyendinaga en Ontario. Ses vidéos montrent l’eau trouble, marron voire noire, qui sort de ses robinets. Dans cette réserve, près de 90 foyers ne sont pas encore raccordés au nouveau système de traitement des eaux et souffrent du même problème : l’eau courante y est insalubre.
« J’ai pris une douche et j’ai vu de l’eau noire sortir du pommeau »
Pourtant, selon Brennen McGuire, ce fléau n’est pas connu de l’ensemble des Canadiens :
Mon objectif est de sensibiliser le public à la crise de l’eau qui frappe les communautés indigènes, et j’essaie de le faire en m’amusant. Je suis autochtone, mais j’ai été élevée dans un foyer très « colonisé ». Je ne connaissais donc pas vraiment ces problématiques. On n’en parle peu à l’école. J’ai toujours été militant, alors j’ai décidé que les gens devaient être informés à ce sujet.
J’ai emménagé dans la maison où je vis actuellement il y a environ un an et demi. Je me souviens avoir dit à ma colocataire : « L’eau ne sent pas très bon, et elle n’est pas très belle non plus ». J’ai pris une douche et j’ai vu de l’eau noire sortir du pommeau. Elle m’a alors dit que la réserve était sous le coup d’un avis d’ébullition d’eau à long terme depuis 2008 [recommandation de faire bouillir l’eau du robinet pendant au moins une minute avant de la boire, NDLR].
Des « avis concernant l’eau potable »
Le gouvernement canadien émet des « avis concernant la qualité de l’eau potable » aux communautés dont l’eau n’est pas propre à la consommation. Les alertes sont divisées en trois catégories : des avis d’ébullition d’eau – les résidents doivent faire bouillir l’eau avant de la consommer -, l’interdiction de consommer l’eau et l’interdiction d’utiliser l’eau. Lorsque ces recommandations ou interdictions sont en vigueur depuis plus d’un an, elles sont considérées comme des « avis à long terme ».
La réserve mohawk de Tyendinaga n’est pas la seule réserve autochtone à manquer d’eau potable. En janvier 2022, 36 avis à long terme concernant l’eau étaient en vigueur dans 29 communautés autochtones du Canada. Dans certains territoires, l’eau est contaminée par de l’uranium, par des bactéries comme E. coli, des métaux lourds toxiques ou des parasites, entraînant des cas de maladies de peau ou des problèmes gastro-intestinaux chez les habitants.
Des engagements du gouvernement canadien
Le difficile accès à l’eau dans les communautés des Premières nations remonte à plusieurs siècles, lorsque les colons français ou britanniques ont poussé les communautés autochtones dans des zones où l’approvisionnement en eau était insuffisant. Le problème a persisté en raison de l’insuffisance des infrastructures et le manque de financement et de réglementation pour la gestion de l’eau dans les réserves autochtones.
Au Canada, les compétences en matière d’eau reviennent au gouvernement fédéral et des lois datant de l’époque coloniale interdisent aux communautés autochtones de gérer leurs propres systèmes d’eau. Le gouvernement canadien s’est engagé à effectuer des réparations, réussissant à lever 127 avis à long terme sur l’eau potable depuis novembre 2015, date à laquelle l’actuel Premier ministre, Justin Trudeau, a pris ses fonctions.
Lors de sa campagne en 2015, Justin Trudeau avait promis de mettre fin au manque d’eau potable dans les communautés des Premières Nations en cinq ans. Si des progrès ont bien été réalisés, des dizaines de réserves autochtones n’y ont toujours pas accès, alors que le problème dure depuis des décennies. Les 374 résidents de la Première Nation de Neskantaga, en Ontario, vivent sans eau potable depuis 1995. Les résidents de Shoal Lake 40, eux, ont enfin eu accès à l’eau potable en septembre 2021, après avoir passé 24 ans sous le coup d’un avis concernant l’eau potable.
« Nous avons la chance de pouvoir acheter à un prix abordable de l’eau potable »
Brennen McGuire espère que sa maison sera raccordée d’ici trois ans à un nouveau système de distribution d’eau récemment financé par le gouvernement dans le territoire mohawk. En attendant, il faut s’adapter quotidiennement au manque d’eau :
Nous sommes privilégiés dans la mesure où, pour nous laver les mains et nous doucher, nous utilisons l’eau de nos robinets. Pour nous assurer qu’elle n’est pas contaminée, nous y ajoutons de l’eau de Javel. Malheureusement, cela a des effets sur la peau…. Et cela rend l’eau définitivement imbuvable. Mais pour s’assurer que nous pouvons nous doucher, faire la vaisselle et faire toutes les choses que les gens normaux peuvent faire, nous devons mettre de l’eau de Javel dans notre système de filtration.
Nous avons la chance de pouvoir acheter à un prix abordable de l’eau [potable]. Nous avons plusieurs stations d’eau potable où nous pouvons remplir des bidons.
« Il y a des gens qui ont soif, et qui n’ont pas accès à l’eau »
Toutes les communautés autochtones ne sont pas proches des villes ou des installations de traitement des eaux. Certaines réserves autochtones ne sont accessibles que par avion, ce qui rend encore plus difficile l’acheminement de l’eau :
Il y a des réserves dans le nord du Canada qui ne sont accessibles que par avion. Pour les habitants, les ressources sont très chères : un pack de 20 bouteilles d’eau peut coûter entre 40 et 90 dollars [28 et 63 euros], c’est absurde. Il faudrait rendre ces produits abordables pour eux, mais aussi trouver une solution pour qu’ils n’aient pas à acheter de l’eau.
Des gens ont soif, et n’ont pas accès à l’eau. C’est terrifiant de se retrouver dans cette situation. Je pense que ça affecte véritablement la santé mentale de beaucoup de personnes. Il y a le sentiment que le gouvernement ne se soucie pas de notre peuple.
Avant la colonisation, les peuples autochtones se distribuaient l’eau de façon égale. Il s’agissait de ressources que nous avions en abondance. Puis, la colonisation est arrivée et tout à coup, nos ressources en eau douce, nos forêts… cette nature a été polluée et détruite. La meilleure chose à faire pour l’avenir est de restaurer nos lacs et nos forêts, et de faire preuve de plus d’attention envers la Terre Mère.
En décembre 2021, le gouvernement canadien s’est engagé à verser près de 8 milliards (environ 7 milliards d’euros) de dollars pour mettre fin aux problèmes de la qualité de l’eau dans des dizaines de communautés autochtones. Cet accord a été conclu avec des leaders de plusieurs communautés des Premières Nations, qui ont intenté des procès en action collective pour obtenir des dommages et intérêts après des décennies de mauvaise qualité de l’eau.
Cette entente prévoit également que le gouvernement remplace les lois existantes sur l’eau afin de créer une gestion plus équitable des systèmes d’eau potable dans les communautés autochtones.
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