Suivant une recommandation du rapport de l’historien Benjamin Stora, une stèle en hommage à l’émir Abdelkader, héros de la lutte contre la conquête française de l’Algérie, a été inaugurée samedi, à proximité du château d’Amboise. L’œuvre a été vandalisée peu avant la cérémonie.
C’est un nouveau geste symbolique, censé amener la France et l’Algérie sur le chemin de la réconciliation des mémoires. Une stèle rendant hommage à l’émir Abdelkader, figure de la lutte contre la colonisation et père de la nation algérienne, a été inaugurée, samedi 5 février, sur les bords de la Loire, à Amboise.
Signe que la démarche dérange, l’œuvre, intitulée « Passage Abdelkader » et signée de l’artiste tourangeau Michel Audiard, a été vandalisée avant l’inauguration, qui a tout de même eu lieu. Le maire d’Amboise, Thierry Boutard (DVD), a fait part de son « indignation ».
L’histoire de la ville royale et son célèbre château construit au XVe siècle sont en effet intimement liés au destin épique de ce militaire algérien charismatique, savant et religieux. Un personnage « passerelle » entre l’Orient et l’Occident, selon Benjamin Stora, qui avait recommandé cet hommage à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie dans son rapport remis à Emmanuel Macron.
« C’est une personnalité qui s’impose dans l’optique d’un rapprochement des mémoires. Elle permet de souligner la complexité et les paradoxes de la relation dans l’espace colonial. À un moment, ennemi de la France, Abdelkader est devenu allié de la France », rappelle l’historien Pascal Blanchard, joint par France 24.
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Spécialiste du fait colonial, Pascal Blanchard a récemment proposé une liste de 318 noms pour apporter davantage de diversité dans l’espace public, dans laquelle figure celui de l’émir. « Abdelkader coche toutes les cases pour entrer dans le panthéon des imaginaires », glisse l’historien.
Issu d’une famille de l’aristocratie religieuse, Abdelkader est choisi par les tribus de l’Ouest algérien en 1832 pour organiser la résistance contre l’envahisseur français. Passé maître dans l’art de la guérilla, il dirige des campagnes de harcèlement efficaces mais se révèle aussi un habile négociateur.
De la résistance à l’exil
Pendant 15 ans, Abdelkader mène la vie dure aux colonisateurs, leur infligeant des défaites célèbres comme lors de la bataille de la Macta, en 1835. Acculé militairement, lâché par le Maroc sous la pression des Français, il est finalement contraint de capituler, en décembre 1847, face aux troupes d’Henri d’Orléans, gouverneur général de l’Algérie.
L’émir propose alors sa reddition à une condition : pouvoir se retirer à Alexandrie ou à Acre. Au mépris de la parole donnée, il est emmené en France, à Toulon puis Pau, avant d’être interné au château d’Amboise.
« C’est une longue tradition française que d’éloigner du champ colonial les personnalités qui s’y opposent », souligne Pascal Blanchard, citant notamment le cas Abdelkrim el-Khattabi, rebelle marocain, exilé sur l’île de La Réunion en 1926.
Abdelkader arrive à Amboise en novembre 1848 avec une suite d’une centaine de personnes : membres de sa famille, compagnons et domestiques. Arrachés au désert, ses fidèles souffrent de conditions de vie difficiles dans ce château glacial et insalubre. Plusieurs membres de la suite meurent pendant leur détention.
Inauguré en 2005, un jardin d’Orient, situé dans l’enceinte du château d’Amboise, composé d’un cénotaphe et de vingt-cinq stèles gravées contemporaines, symbolise ces destins tragiques.
Pendant sa détention, l’émir se consacre à l’étude, l’écriture, la méditation et la prière. Pour rendre plus supportable la captivité, le capitaine Boissonnet, en charge des prisonniers, autorise l’appel du muezzin cinq fois par jour depuis la tour Garçonnet.
Puis en 1851, Adbelkader est autorisé à sortir du château pour des promenades sous surveillance pendant lesquelles il converse avec les habitants. Et hier comme aujourd’hui, les locaux lui vouent un profond respect.
« Tout le monde aime, respecte et estime l’émir à Amboise », assure l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz, auteure du livre « Le Jardin d’Orient » (éditions Michalon), contactée par France 24. « Il avait notamment de longues conversations avec l’abbé Rabion. C’était un grand érudit et un initiateur du dialogue interreligieux. Déjà, pendant la guerre, il s’était rapproché de l’évêque l’Alger pour écrire une charte sur la manière de traiter les prisonniers de guerre ».
Héros d’une histoire commune
Abdelkader obtient finalement sa libération auprès de Napoléon III en 1852, en échange de sa promesse de ne jamais retourner en Algérie.
Il deviendra par la suite un interlocuteur de premier plan pour la France dans le monde arabe. En 1860, il accède à une reconnaissance internationale en jouant un rôle capital pendant des manifestations anti-chrétiennes à Damas, en Syrie, s’interposant entre les émeutiers et leurs victimes.
Cinq ans plus tard, il est reçu à Paris avec tous les honneurs du Second Empire, puis il est invité à l’inauguration du canal de Suez. L’ancien ennemi est devenu un allié de poids et son image de sage emporte l’adhésion des élites françaises, notamment franc-maçonnes.
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Avec ce nouvel hommage dédié à l’émir Abdelkader, figure de tolérance et d’ouverture d’esprit, de droiture et de magnanimité, l’Élysée veut donc symboliser la possibilité d’une réconciliation entre les deux pays.
Cependant, dès l’annonce du projet l’année dernière, une pétition lancée par une cinquantaine d’intellectuels algériens s’était opposée à « ce détournement » d’un patrimoine qui « appartient à notre pays, à notre peuple et à tous les peuples qui ont résisté aux entreprises coloniales ».
« Nous avons peut-être des mémoires différentes mais nous avons une histoire commune », estime, pour sa part, Pascal Blanchard, qui pointe ici les critiques d’une petite minorité. « Ce serait une erreur de penser que chacun doit avoir des héros qui lui ressemble ».
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