France World

« L’artiste dissident Ai Weiwei cristallise l’hypocrisie des relations entre la Chine et le reste du monde »

Chronique. Créer avec un brin de liberté est-il encore possible dans une Chine ouvrant ses Jeux olympiques d’hiver dans un splendide isolement ? On peut en douter en lisant 1 000 ans de joies et de peines (Buchet Chastel, 432 pages, 24 euros), remarquable autobiographie d’Ai Weiwei, 64 ans, l’artiste le plus célèbre du pays, réfugié en Europe depuis 2015, ce qui est déjà une réponse.

Ce livre, dont nous avons publié un extrait concernant ses 81 jours de détention en 2011, est un témoignage effarant et fort bien écrit sur son rôle d’artiste dans une dictature. Comment il s’engouffre dans le moindre interstice de liberté, témoignant d’une vive agilité situationnelle.

Ai Weiwei goûte peu le tableau abstrait. Quand il visite le Musée d’art moderne de New York, ville où il habite dans les années 1980, il a le jugement sévère – élitisme, gaspillage, vanité, snobisme –, alors qu’il assiste, par écran interposé, au massacre de Tiananmen. Sa conviction est faite : « Si l’art ne s’engage pas dans la vie, il n’a pas d’avenir. » Il rentre chez lui puis se poste sur la symbolique place Tiananmen, il prend en photo une amie relevant haut sa jupe ou sa propre main ponctuée d’un doigt d’honneur.

Décalage saisissant

Ai Weiwei pense qu’un artiste doit frapper là où ça fait mal. Mais le décalage est saisissant. En son pays, qu’il aime tant, il est perçu comme un activiste, « une épine dans le flanc du régime », au sens où son art scénarise sa vie et les visages de la dictature – atteintes aux libertés, corruption, écologie meurtrie… – au moyen de supports divers : dessin, écriture, sculpture, photographie, vidéo, performance, chanson, jusqu’à son blog, qu’il alimente jour et nuit à partir de 2005 avant qu’il ne soit fermé.

En Occident, il est un artiste exposé dans les grands musées, qui se donnent avec lui une bonne conscience et une image frondeuse. Ai Weiwei n’est pas dupe de sa double image, pas vraiment synchrone. Il l’entretient même : il vante la liberté en Amérique ou en Europe, tout en y dénonçant les injustices sociales et la situation des migrants. Il est un insoumis difficile à récupérer. En cela, son livre est universel.

Ai Weiwei a su construire sa notoriété chez lui pour la faire vivre dehors, afin d’être un peu épargné. Son activité d’architecte, sans diplôme, est ici exemplaire. A partir de trois traits sur un bout de papier, il construit son atelier dans un village autour de Pékin. L’édifice est si apprécié qu’il répond ensuite à une centaine de commandes architecturales dans le pays, jusqu’au spectaculaire stade de Pékin pour les Jeux olympiques de 2008, en forme de nid d’oiseau, conçu avec l’agence suisse Herzog & De Meuron.

Il vous reste 54.92% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source

L’article « L’artiste dissident Ai Weiwei cristallise l’hypocrisie des relations entre la Chine et le reste du monde » est apparu en premier sur zimo news.