Le New York Times a annoncé lundi avoir dépensé plus d’un million de dollars pour acquérir « Wordle », un jeu de lettres qui n’existait pas il y a à peine quatre mois.
C’est une « histoire d’amour » sur fond de pandémie qui a rapporté gros. Le quotidien américain New York Times a signé un chèque d’un montant « à sept chiffres » à Josh Wardle, lundi 31 janvier, pour acquérir son jeu de lettres « Wordle », qui est l’un des phénomènes d’Internet depuis le début de l’année.
« Si vous êtes comme moi, vous vous réveillez probablement chaque matin en pensant à ‘Wordle’, aux précieux moments de découverte, de surprise et d’accomplissement (qu’il apporte) », a commenté Jonathan Knight, responsable de la section « jeux » pour le New York Times, dans le communiqué annonçant cet achat.
Un jeu pour sa compagne
À la croisée entre le jeu Motus, le pendu et Mastermind, Wordle propose aux joueurs de deviner chaque jour un nouveau mot de cinq lettres. Ils ont six essais pour y parvenir et chaque fois qu’une lettre est découverte, elle apparaît en vert pour indiquer qu’elle se trouve à la bonne place, ou en jaune pour prévenir qu’elle se trouve à un autre endroit du mot.
Un concept d’une simplicité enfantine que Josh Wardle, un ingénieur en informatique, avait tout d’abord réservé à sa compagne, une fan des mots croisés et autres jeux similaires. Développé en quelques jours en 2020, le jeu « était une manière pour nous de tuer le temps pendant le confinement », a-t-il raconté au New York Times, qui a été le premier média à parler du phénomène, dès le 3 janvier, en le qualifiant « d’histoire d’amour » devenue « jeu viral ».
Josh Wardle a ensuite élargi son public à sa famille et devant le succès en petit comité, il s’est dit, fin octobre 2021, qu’il fallait tenter le grand saut en proposant Wordle au monde anglophone entier.
Bingo : son public est passé de 90 joueurs quotidiens au 1er novembre à 300 000 fin 2021, et à trois millions d’accros quelques jours avant son acquisition par le New York Times.
Une trajectoire fulgurante qui n’est pas sans rappeler les succès à vitesse grand V de jeux comme « Farmville » sur Facebook en 2009 ou « Flappy Bird » sur smartphone en 2013. Des phénomènes éphémères qui ont tous su, malgré des concepts ultra-simples et des graphismes bas de gamme, s’imposer en captant un certain air du temps.
« Farmville » est devenu le synonyme de jeux sur les réseaux sociaux, tandis que « Flappy Bird » a profité de l’intérêt croissant du grand public pour les jeux vidéo sur mobile.
Dans l’air du temps pandémique
Quid de « Wordle » ? « C’est plus simple que certains autres jeux de puzzle de mots, c’est gratuit, et c’est un petit défi qu’on peut relever assez aisément tous les jours quand la plupart des obstacles de cette période de pandémie nous semblent insurmontables », estime le Washington Post.
Pour le New York Times, « Wordle » est aussi une bouffée d’air frais dans un paysage vidéoludique très agressif commercialement. « Wordle » n’existe que sur un site internet, sans bandeau, sans publicité et qui ne collecte aucune donnée personnelle. « Il ne requiert pas plus de quelques minutes de votre temps par jour et, contrairement à tant d’autres jeux, ‘Wordle’ ne vous abreuvera pas de notifications et de rappels pour que vous retourniez y jouer », écrivait le New York Times quelques semaines avant d’acheter le jeu.
Mais c’est surtout l’effet Twitter qui a amplifié son succès. À partir de décembre 2021, Josh Wardle a intégré la possibilité de partager ses résultats sur le réseau social de microblogging. Entre fin novembre et le 13 janvier, plus de 1,3 million de tweets de joueurs vantant leur maestria à deviner le bon mot ont été postés, a précisé Siobhan Murphy, responsable de la communication pour Twitter.
Et ce n’est pas seulement la quantité qui compte. Plusieurs personnalités médiatiques de premier plan aux États-Unis font partie des accros à « Wordle » et le font savoir, à l’instar de Jimmy Fallon, le présentateur de l’émission « The Tonight Show », ou encore J. Smith-Cameron, l’une des stars de la série américaine à succès « Succession ».
Preuve ultime de l’engouement autour de « Wordle » : les clones, ou des jeux cherchant à capitaliser sur l’effet « Wordle », ont fini par apparaître par dizaines. C’est ainsi qu’il existe pléthore d’applications qui proposent de deviner, par exemple, un nouveau juron par jour ou de trouver un mot en sept lettres plutôt qu’en cinq.
Le New York Times aime les jeux vidéo
La copie ayant fait le plus parler d’elle n’a même pas cherché à changer de nom et proposait comme seule originalité une version payante du jeu… Une grossière imitation qui a convaincu Apple, à la mi-janvier, de faire un grand ménage dans la jungle des clones de « Wordle ».
Le prix supérieur à un million de dollars déboursé par le New York Times pour s’offrir le jeu du moment en dit aussi long sur la stratégie du vénérable quotidien américain de la côte Est.
En effet, il étoffe depuis plusieurs années son offre de jeux en ligne. Outre les traditionnels mots croisés et « Sudoku », le journal propose aussi un jeu pour épeler des mots et un autre pour en trouver en reliant des lettres.
C’est un pan qui peut sembler moins « noble » que la couverture de l’actualité, mais ces jeux sont devenus de plus en plus importants pour le New York Times. En 2020, le nombre d’abonnés à des services comme les recettes de cuisine et les jeux a augmenté de 63 % (contre une hausse de 45 % pour les abonnés aux articles traditionnels du New York Times), rappelle NiemanLab, le site du centre d’études des médias de l’université de Harvard. Plus de 800 000 internautes ont souscrit à un abonnement annuel de 40 dollars pour avoir un accès illimité aux jeux du New York Times.
Cette diversification doit beaucoup à l’effet Donald Trump, assure Bloomberg. « À la fin de la présidence Trump, les États-Unis étaient plus divisés que jamais avec une part importante de la population qui rejetait les médias traditionnels. Le New York Times a alors averti qu’il aurait du mal à augmenter son nombre d’abonnés et c’est pourquoi il a décidé de miser sur les jeux pour élargir son audience », assure la chaîne économique.
Pour ce faire, le quotidien a décidé de recruter, en septembre 2020, Jonathan Knight, un vétéran du jeux vidéo qui a travaillé pour Zynga, le célèbre créateur de « Farmville » et « Word With Friends » (une sorte de Scrabble sur smartphone). Ce spécialiste de la monétisation des jeux vidéo a promis que « Wordle » resterait gratuit… pour l’instant.
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