France World

Cinquante ans après le Bloody Sunday, la ville de Derry entre paix et plaies

Par Cécile Ducourtieux

Publié aujourd’hui à 03h24

Réservé à nos abonnés

EnquêteSymbole de la période des « Troubles » irlandais, Derry (Londonderry pour les protestants) s’apprête à commémorer la mort des 14 manifestants tués le 30 janvier 1972 par des parachutistes britanniques.

Le long des remparts encore intacts de Derry, près de l’austère cathédrale anglicane Saint-Colomba, se cache l’entrée de la Playhouse, un théâtre engagé qui anime depuis trente ans la vie culturelle de cette grosse ville dans l’ouest de l’Irlande du Nord (appelée Londonderry par la communauté protestante). Dans son modeste foyer – quelques tabourets, un bar déserté –, le directeur, Kieran Griffiths, a pris le temps, entre deux répétitions, ce matin de mi-décembre 2021, de parler son dernier projet : The White Handkerchief (« le mouchoir blanc »). La première a lieu le 30 janvier, jour anniversaire des 50 ans du Bloody Sunday, et constituera un des temps forts des commémorations.

Le 30 janvier 1972, 13 civils, tous habitants de Derry, sont abattus par des soldats d’un régiment de parachutistes de l’armée britannique, dans le Bogside, un ghetto catholique au pied des remparts de la ville. Une 14e victime décédera de ses blessures quelques mois plus tard. Ce massacre ne fut ni le premier ni le pire des « Troubles », le nom donné au Royaume-Uni au conflit nord-irlandais, mais c’est un épisode crucial de cette guerre de trente ans (1968-1998) qui ensanglanta la région, opposant les catholiques favorables à l’unification de l’Irlande aux protestants loyaux à la couronne britannique.

Une peinture murale représentant les 14 manifestants tués lors du Bloody Sunday dans le quartier du Bogside à Derry, en Irlande du Nord, le 11 janvier 2022. PHILIP HATCHER-MOORE POUR « LE MONDE »

« La pièce commence avec un face-à-face entre Peggy Deery, une jeune femme à terre, qui vient d’être atteinte d’une balle à la jambe, et le soldat qui a tiré. Peggy l’implore : “Ne me tuez pas !” Je suis veuve, j’ai 14 enfants », raconte Kieran Griffiths. L’histoire est véridique. Peggy fut la seule femme blessée par balle ce jour-là. « Le soldat l’a épargnée. On a voulu raconter cette confrontation, puis parler des autres victimes, célébrer leur vie. Il s’agit d’une élégie à la réconciliation », ajoute le directeur.

Abattus alors qu’ils fuyaient

Comment évoquer ce drame sans rouvrir les plaies des vivants ? Kieran Griffiths, lui-même natif de Derry, mais trop jeune pour avoir connu le Bloody Sunday, a choisi un symbole de paix, l’iconique mouchoir blanc que le prêtre Edward Daly (mort en 2016) agitait pour demander aux soldats de ne pas tirer quand les manifestants tentaient de mettre à l’abri Jack Duddy, 17 ans, mortellement blessé. Kieran Griffiths a fait reproduire des mouchoirs avec les initiales du prêtre (Fr. E. Daly) brodées comme sur l’original exposé au Musée Free Derry, qui retrace la mémoire du massacre. Il a distribué les répliques aux familles, dont la plupart devraient assister au lancement de la pièce – « j’ai donné la première à Kate, la sœur de Jack Duddy ».

Il vous reste 78.4% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source

L’article Cinquante ans après le Bloody Sunday, la ville de Derry entre paix et plaies est apparu en premier sur zimo news.