Editorial du « Monde ». Le retrait de Saad Hariri de la vie politique libanaise, annoncé lundi 24 janvier, constitue l’épilogue d’une saga familiale de plus de trente ans. Il marque aussi la fin d’un projet politico-économique, le haririsme, qui pendant un temps, avant de se déliter sous ses propres faiblesses et les coups de ses adversaires, apporta une mesure de stabilité inespérée au Liban et au Proche-Orient.
L’histoire commence avec Rafic, le père, petit entrepreneur de Saïda, qui fait fortune en construisant, dans les années 1970 et 1980, les palais des altesses saoudiennes. Fort de ses contacts haut placés dans le royaume, de ses bonnes relations aussi avec Damas, de son épais carnet de chèques et de sa capacité à saisir les opportunités, l’homme d’affaires s’impose à la fin de la guerre civile (1975-1990) comme le grand ordonnateur du redressement du Liban.
Premier ministre à trois reprises, patron de la compagnie de reconstruction du centre de Beyrouth, ambassadeur d’un Liban prospère et réconcilié avec lui-même, Rafic Hariri séduit aussi bien à Riyad et à Damas qu’à Washington et à Paris, où il devient un intime de Jacques Chirac. Malin, clientéliste et inclusif à la fois, soluble dans le condominium saoudo-syrien qui pèse sur le Liban d’après-guerre, il incarne un sunnisme modéré.
Mais Damas prend ombrage de son envergure internationale. Bachar Al-Assad le soupçonne d’œuvrer en coulisses à l’application de la résolution 1559 des Nations unies, appelant au retrait des forces syriennes du Liban et au désarmement du Hezbollah, le parti-milice chiite à la solde de l’Iran. Le 14 février 2005, Rafic Hariri périt dans l’explosion d’une camionnette piégée au passage de son convoi.
Le flambeau est transmis à Saad, mais le costume est trop grand. Viveur et soupe au lait, le fils cadet n’a pas le charisme ni l’ardeur au travail du père. Surtout, la donne géopolitique se complique. Le soulèvement anti-Assad, en 2011, déchire la région entre un camp pro-Téhéran, soutien de Damas, et un bloc pro-Riyad, hostile au régime syrien.
Le legs de Rafic Hariri
Pris en tenaille, soucieux d’éviter un retour de la guerre civile, l’héritier Hariri compose avec le Hezbollah. Cette politique d’accommodements l’éloigne progressivement du royaume saoudien, parrain du haririsme. La rupture définitive intervient en 2017, avec le rocambolesque épisode de la séquestration de « cheikh Saad » à Riyad.
Deux ans plus tard, la crise économique assène un autre coup très dur au haririsme. L’endettement massif, l’artifice de l’indexation de la livre sur le dollar, l’envolée du secteur bancaire mettent à bas ce qui avait fait le succès du pays quinze ans plus tôt. La maison Hariri s’est écroulée bien avant que son administrateur ne l’annonce. On pourrait même dire que l’effondrement remonte à l’assassinat du fondateur, Rafic.
Le Moyen-Orient porte toujours les stigmates de sa disparition. Il n’a jamais retrouvé ce centre de gravité sunnite que le dirigeant libanais a symbolisé. Le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, figure montante de la région, a dilapidé dans des initiatives calamiteuses ou criminelles, notamment l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, le crédit que ses réformes lui avaient initialement valu.
Les peuples du Moyen-Orient sont toujours en quête d’une figure rassembleuse, capable de faire contrepoids aux menées iraniennes, de faire obstacle au discours sectaire des djihadistes et d’esquisser un horizon démocratique. Alors que le fils Hariri s’efface, le legs du père revient au premier plan.
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