Sa quête d’équilibre et de pragmatisme semblait parfois décalée dans l’Amérique d’aujourd’hui, fracturée et tourmentée. Mais n’est-ce pas à son honneur ? A 83 ans, Stephen Breyer, l’un des neuf juges de la Cour suprême, est sur le point de formaliserincap son départ à la retraite, au terme de la session actuelle fin juin. La nouvelle a fait la « une » des médias, mercredi 26 janvier, tant cette décision offre une occasion précieuse à Joe Biden de préserver l’aile libérale au sein de l’institution, dominée par les conservateurs – six contre trois.
Désigné par Bill Clinton en 1994, Stephen Breyer « incarne les meilleures qualités et les plus hauts idéaux de la justice américaine : la connaissance, la sagesse, l’équité, l’humilité, la retenue », a énuméré le sénateur démocrate Chuck Schumer (New York), chef de la majorité, qui a promis un processus de confirmation rapide pour le candidat futur de la Maison Blanche. La marge infime dont disposent les démocrates au Sénat (50-50, plus la voix décisive de la vice-présidente, Kamala Harris) avive le risque de nouvelles empoignades.
Depuis le début de la présidence Biden, une pression amicale était exercée sur le juge, par médias interposés. Elle consistait à inciter Stephen Breyer à se retirer, en raison de son âge, pour donner la possibilité à Joe Biden de promouvoir un juge libéral plus jeune à sa place, aux côtés de Sonia Sotomayor, 67 ans, et d’Elena Kagan, 61 ans. La perspective d’une déroute démocrate aux élections de mi-mandat, en novembre, fermerait la porte pour le président.
Or, l’un des héritages les plus importants de la présidence Trump est la désignation de trois nouveaux juges conservateurs à la Cour suprême : Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Cette dernière avait remplacé l’icône du camp libéral, Ruth Bader Ginsburg, provoquant un basculement de l’équilibre interne. Le décès de « RBG » en 2020, à l’âge de 87 ans, avait laissé un goût amer à gauche, certains regrettant que la magistrate n’eut pas quitté ses fonctions sous la présidence Obama.
Espoirs de consensus déçus
Depuis cette disparition, le juge Breyer était devenu l’aîné de l’aile libérale. Ses espoirs de consensus et de travail constructif avec ses collègues conservateurs ont fait long feu, sur des sujets comme l’immigration, le Covid-19 ou bien l’avortement. Une vaste offensive dans de nombreux Etats pour renverser la décision historique Roe v. Wade, légalisant l’IVG, semble ainsi relayée par les six magistrats majoritaires.
Or, le juge Breyer rejette l’idée d’une politisation de la Cour suprême, d’une lecture juridique décidée en fonction de lignes partisanes. Défenseur de la collégialité et de la délibération, le magistrat tenait une position à la fois noble et un peu isolée. Dans un discours prononcé devant la Harvard Law School en avril 2021, Stephen Breyer avait déployé sa vaste culture, en citant Cicéron et Tocqueville, Shakespeare et Camus. Ce fin francophone avait centré son intervention sur une mise en garde contre les volontés réformatrices d’une partie de l’appareil démocrate, qui envisage d’augmenter le nombre de juges siégeant à la Cour. Stephen Breyer avait remonté l’histoire pour souligner à quel point la notion de confiance dans les institutions devait être chérie. « Pour l’exprimer de façon abstraite, le pouvoir de la Cour, comme celui de tout tribunal, doit reposer sur la volonté du public de respecter ses décisions, même celles avec lesquelles il se trouve en désaccord et même s’il estime que ces décisions constituent une erreur sérieuse », disait-il.
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