LETTRE D’ISTANBUL
La prison de Sincan, près d’Ankara, en 2012. ADEM ALTAN / AFP
Incarcérée depuis cinq ans à la prison de haute sécurité de Kandira, à Kocaeli dans la province de Marmara (nord-ouest de la Turquie), la détenue Aysel Tugluk est en train de sombrer dans la folie. Trous de mémoires, difficultés de mouvement et d’élocution entravent l’autonomie de cette ancienne députée du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche pro-kurde), minée par une forme de démence précoce.
Pervin Buldan, la coprésidente du HDP, s’en est émue après être allée la voir le 24 décembre 2021. « Aysel n’est plus en mesure de s’assumer. » Alors que son état empire, la justice refuse de surseoir à l’exécution de sa peine en vue d’un traitement médical approprié. Les demandes de libération provisoire déposées par ses avocats ont toutes été rejetées.
Les juges ne sont pas pressés d’adoucir le sort de la politicienne, condamnée à plus de dix années de prison en 2020 pour « appartenance à un groupe terroriste », à savoir le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, rébellion armée kurde), l’ennemi juré de l’Etat turc depuis près de quarante ans. Tout ce qu’Aysel a fait est écrire, parler et prononcer le mot « Kurdistan », à une époque où beaucoup le faisaient, sachant qu’un processus de paix était en cours entre le gouvernement islamo-conservateur et le PKK.
En 2015, la lutte armée a repris le dessus. Un an plus tard, le coup d’Etat raté du 15 juillet 2016 a servi de prétexte au déclenchement de purges qui ont mis la société civile sens dessus dessous. Comme des dizaines de milliers d’opposants, la députée du HDP s’est retrouvée derrière les barreaux.
Le taux d’incarcération le plus élevé en Europe
Selon ses proches, sa santé mentale s’est dégradée en 2017, l’année du décès de sa mère. L’administration pénitentiaire l’autorise alors à assister à l’enterrement, prévu à Ankara. Mais au moment où elle et les siens sont au cimetière, une bande de nationalistes fanatiques les agresse, scandant des slogans racistes, profanant la tombe sous prétexte que la famille est alévie (une branche hétérodoxe de l’islam) et présumée proche du PKK, donc ennemie de la nation. L’attaque est si violente que la famille doit quitter les lieux avec la dépouille et lui trouver une autre sépulture, plus loin, dans le sud-est du pays.
De ce traumatisme, Aysel ne s’est jamais remise. Sa démence a été diagnostiquée, il y a près d’un an déjà, par le département de médecine légale de l’université de Kocaeli, qui recommande une prise en charge hospitalière. Mais l’institut de médecine légale, affilié au ministère de la justice, n’est pas de cet avis. La peine « peut se poursuivre en prison avec un traitement et des contrôles médicaux réguliers », conclut l’institution dans sa contre-expertise.
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