Le rapport sur le « partygate », qui pourrait coûter à Boris Johnson son poste de Premier ministre devrait être rendu public très prochainement. Ce document très sensible a été rédigé par Susan Gray, aussi surnommée « la femme la plus puissante dont personne n’a jamais entendu parler ». Portrait.
Au Royaume-Uni, tout le monde attend Sue Gray, ou plus précisément son rapport, qui pourrait signer le glas de la carrière de Premier ministre de Boris Johnson.
C’est elle qui a été chargée par le gouvernement britannique d’enquêter sur les fêtes à répétition à Whitehall, le siège du gouvernement, alors que le reste du pays était en confinement, et ses conclusions pourraient être rendues publiques dès mercredi 26 janvier.
Ou peut-être dans les jours à venir. En tout cas avant la fin de la semaine. Ou pas… Personne ne sait vraiment. Et c’est l’une des marques de fabrique de Sue Gray, réputée pour son sens aigue du secret, tout autant que pour son intégrité à toute épreuve.
Un chanson en l’honneur de Sue Gray
Cette fonctionnaire, habituée à travailler en coulisses, n’est plus désormais « la femme la plus puissante dont vous n’avez jamais entendu parler », comme on la surnommait dans les arcanes du pouvoir.
Dorénavant, tous les Anglais savent qui elle est. La popularité de Sue Gray a explosé depuis le début du « partygate » (le scandale des fêtes illégales au gouvernement) et elle a droit à des mèmes sur Twitter tandis que le groupe « The Marsh Family » a composé une chanson en son honneur : « en attendant l’enquête de Sue Gray ».
Face à cette déferlante médiatique, cette fonctionnaire – qui n’est officiellement que secrétaire permanente du département du Logement, des Communautés et du Gouvernement local – est restée silencieuse. On sait seulement qu’elle a interrogé personnellement Boris Johnson pour tenter d’établir ce qu’il savait ou non des fêtes organisées à sa résidence du 10 Downing Street durant le confinement, et qu’elle a fait parvenir des informations à la police, qui a ouvert une enquête en parallèle.
Pour le reste, elle est restée fidèle à sa réputation de discrétion. À tel point qu’on ignore même son âge, exact, entre 63 ou 64 ans. Cela fait, en tout cas, plus de 40 ans qu’elle travaille au service de l’État presque sans interruption.
Presque sans interruption. Car avant de tenir entre les mains le destin d’un Premier ministre, elle a brièvement fait des infidélité à la fonction publique pour les joies du propriétaire d’un pub.
Mais avant de tenir entre les mains le destin d’un Premier ministre, elle a brièvement été… propriétaire d’un pub. Sue Gray s’est occupée, dans les années 1980, d’un bar à Newry en Irlande du Nord, en plein cœur d’un territoire acquis à la cause de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), au plus fort des « Troubles », le conflit violent entre catholiques et protestants en Irlande du Nord. Elle servait alors les clients avec son mari, Bill Conlon, un chanteur anglais de country.
« Vice Dieu »
Mais dès la décennie suivante, elle est revenue au cœur de l’appareil d’État. Sa carrière de fonctionnaire a culminé entre 2012 et 2018, lorsqu’elle était responsable des questions d’éthique au Bureau du cabinet du Premier ministre conservateur de l’époque, David Cameron.
C’est à cette époque que Sue Gray s’est forgé la réputation de femme de l’ombre qui sait tout et peut tout contrôler… sans jamais laisser de trace. David Laws, ministre de 2012 à 2015, a écrit dans ses mémoires qu’il lui a fallu deux ans pour comprendre que « c’était une petite femme du nom de Sue Gray qui était réellement en charge du pays ».
La BBC, qui a commencé à s’intéresser à « l’énigme Sue Gray » dès 2015, a expliqué que son pouvoir venait du fait qu’elle pouvait fourrer son nez dans toutes les affaires des membres du gouvernement. Un ministre prêt à publier un livre ? Sue Gray devait le lire en amont pour s’assurer qu’il n’y avait rien de contraire à l’éthique de la fonction. Des frais à faire rembourser ? Elle devait être informée de la nature des dépenses.
Lorsqu’un parti « voulait faire nommer quelqu’un à un poste en vue dans la fonction publique, c’est elle qu’il fallait appeler afin d’avoir son accord. Elle tranchait, puis raccrochait sans jamais se justifier », raconte la BBC. Surtout, « elle était obsédée par le fait de ne jamais laisser de trace écrite. Ainsi, lorsqu’on lui envoyait un mail pour obtenir son avis sur une question éthique plutôt que de l’appeler, il lui arrivait de ne jamais répondre », poursuit le site de la télévision britannique.
Au cours de ces années, Sue Gray a emmagasiné un savoir immense sur le petit monde de la politique britannique, ce qui lui a valu le surnom de « vice-Dieu ». Elle s’est d’ailleurs servi du pouvoir de vie et de mort politique qu’elle avait contre certains des plus proches collaborateurs du Premier ministre.
C’est elle qui, en 2017, a scellé le sort de Damien Green, l’un des plus influents conseillers de Teresa May, alors Première ministre. Elle avait jugé qu’il avait menti en affirmant ne pas savoir que du matériel pornographique se trouvait sur son ordinateur. Peu après, Damien Green avait dû démissionner.
Sue Gray n’a pas peur de s’en prendre aux puissants. « Ses amis vantent son intégrité et son sens du service public », souligne le Financial Times. C’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons pour lesquelles « Sue Gray est l’une des rares personnes que Boris Johnson craint », note le Guardian.
Mais tenir entre ses mains l’avenir politique du Premier ministre en personne n’est pas la même chose que de pousser un proche conseiller, aussi influent soit-il, vers la porte de sortie.
Elle sait que si son rapport n’est pas suffisamment dur avec le gouvernement de Boris Johnson, elle sera accusée de ne pas avoir été impartiale envers les représentants de l’État, son employeur.
Mais si elle conclut que le Premier ministre était au courant des fêtes illégales, donnant ainsi aux députés les munitions nécessaires pour renverser le gouvernement, « cela montrera les limites d’un système qui n’avait pas été pensé pour une enquête visant le Premier ministre », assure au New York Times Hannah White, directrice adjointe de l’Institute for Government, un centre de réflexion sur la bonne gouvernance au Royaume-Uni. Pour cette analyste, il est en effet délicat de laisser une fonctionnaire non-élu décider du sort de celui qui a été désigné démocratiquement pour gouverner le pays.
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