Le juge progressiste à la Cour suprême des Etats-Unis Stephen Breyer va quitter ses fonctions au terme de la session en cours, à la fin du mois de juin, ont rapporté, mercredi 26 janvier, plusieurs médias américains. Le magistrat devrait annoncer sa décision à la Maison Blanche d’ici peu, selon des sources anonymes citées par les chaînes NBC, CNN et la radio NPR.
Son retrait, à 83 ans, devrait permettre au président démocrate Joe Biden de choisir son successeur et d’obtenir sa confirmation au Sénat avant les élections de mi-mandat, en novembre. M. Biden a promis que, s’il en avait l’occasion, il nommerait une femme noire au sein de la plus haute juridiction du pays. La magistrate Ketanji Brown Jackson, de la cour d’appel fédérale de Washington, fait partie des noms qui circulent avec insistance.
La porte-parole de la présidence, Jen Psaki, a assuré dans un tweet « ne pas avoir de détails ou d’informations » à ce stade, soulignant qu’il revenait aux juges de la Cour suprême de décider quand ils veulent partir et « de l’annoncer comme ils l’entendent ». Mais, sans attendre, le chef démocrate du Sénat, Chuck Schumer, s’est dit prêt à organiser « rapidement » une audience de confirmation pour son successeur.
La Constitution américaine prévoit en effet que les neuf juges de la haute cour soient nommés à vie par le président et confirmés par la chambre haute du Congrès. Les républicains ne cachent pas qu’ils pourraient bloquer un candidat choisi par Joe Biden s’ils reprennent la majorité au Sénat, comme ils l’ont fait en 2018 quand Barack Obama a tenté de pourvoir un poste ouvert par la mort d’un des magistrats.
Les nominations à la Cour suprême, qui arbitre la plupart des grands sujets de société aux Etats-Unis, sont l’objet depuis quelques années de féroces batailles politiques. Lors de son mandat, le républicain Donald Trump a fait entrer trois juges en son sein, sur un total de neuf, ce qui a solidement ancré l’institution dans le conservatisme. Leur influence s’est fait particulièrement ressentir depuis septembre, avec un net virage à droite. Le temple du droit a invalidé l’obligation vaccinale dans les grandes entreprises décrétée par Joe Biden et semble prêt à revenir sur le droit à l’avortement et à élargir le droit au port d’armes.
Opposition à la peine de mort et défense de l’avortement
Doyen de la Cour suprême, le juge Stephen Breyer a imprimé une marque profonde sur la doctrine progressiste américaine. Il a siégé à l’institution plus d’un quart de siècle, aux côtés de ses huit pairs à majorité conservatrice. Faire partie de la minorité n’a jamais retiré à ce brillant magistrat sa jovialité ni la passion avec laquelle il a défendu de façon opiniâtre ses convictions, au premier rang desquelles son opposition à la peine de mort. Parmi ses autres combats chers : l’environnement ou le droit à l’avortement.
Connu pour ses traits d’esprit et sa grande culture, Stephen Breyer est devenu en 1994 le deuxième juge nommé à la haute cour par le président démocrate Bill Clinton, après Ruth Bader Ginsburg, icône féministe morte en 2020 à l’âge de 87 ans. Tout comme « RBG », au fil d’argumentaires ciselés, Stephen Breyer s’est imposé comme un pilier du temple du droit américain, chargé de veiller à la constitutionnalité des lois.
La Constitution, justement, le juge Breyer en porte toujours un mince exemplaire annoté dans la poche intérieure de sa veste. Mais les autres livres ne sont jamais loin de ce natif de San Francisco, auteur de plusieurs ouvrages sur les libertés ou le droit international.
Admirateur de Proust et Stendhal
Ce féru de philosophie est sans doute le plus francophile des juges américains. Parlant couramment français, il parsème ses discours de références à Proust ou à Stendhal. Il aime également citer l’homme d’Etat et philosophe romain Cicéron – « En temps de guerre, les lois sont muettes » – pour rappeler que, durant la seconde guerre mondiale, 70 000 Américains d’origine japonaise avaient été internés sans raison dans des camps.
Après un prestigieux parcours académique qui l’a vu collectionner les diplômes à l’université Stanford, à la faculté britannique d’Oxford et à l’école de droit de Harvard, Stephen Breyer a entamé sa carrière en 1964 en tant qu’assistant du juge de la Cour suprême Arthur Goldberg. Un temps spécialisé dans la lutte contre les trusts, le juriste a également été conseiller du procureur dans le scandale du Watergate.
Marié à une psychologue issue de l’aristocratie britannique, avec laquelle il a eu trois enfants, le juge Breyer a enseigné à Harvard jusqu’en 1980. Il est ensuite resté en Nouvelle-Angleterre, nommé par le président Jimmy Carter à la cour d’appel de Boston, qu’il finira par diriger.
Homme de consensus, Stephen Breyer aurait probablement obtenu sa nomination à la Cour suprême plus tôt s’il n’avait eu son blason terni par des révélations sur son omission de cotiser aux caisses de retraite pour une employée de maison. Cette affaire a retardé son arrivée à la haute instance, dont il a ensuite obstinément défendu l’indépendance, malgré les critiques récurrentes qui en font un organe politisé.
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