Après des années de flou juridique concernant la commercialisation de produits à base de CBD (ou cannabidiol), les acteurs du secteur se retrouvent une fois de plus dans la tourmente. Fin décembre, dans un arrêté publié au Journal Officiel, le gouvernement s’est positionné sur la règlementation du chanvre « bien-être » et a opté pour l’interdiction aux boutiques de vendre des fleurs et des feuilles brutes contenant du CBD, la molécule non-psychotrope du cannabis. Un coup de massue pour la filière qui a fini par saisir le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative.
Finalement, ce dernier a suspendu l’arrêté du gouvernement ce lundi 24 janvier, rendant de nouveau possible la commercialisation des produits en question. Dans son ordonnance, le Conseil d’Etat a estimé qu’il « ne résulte pas de l’instruction (…) que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC (la molécule psychotrope du cannabis) n’est pas supérieure à 0,3% revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation ». Il a par ailleurs souligné dans un communiqué que ces produits étaient « dépourvus de propriétés stupéfiantes ». Mais le combat juridique est loin d’être terminé puisque la suspension s’applique ”à titre provisoire”. « On devrait être fixé dans un an même si la décision peut-être rendue entre six mois et deux ans », précise Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre (SPC).
Les boutiques de CBD mises à mal
La décision finale du Conseil d’État est attendue par les 4.000 acteurs de la filière (agriculteurs, distributeurs…), et plus particulièrement par les 2.000 boutiques indépendantes qui commercialisent divers produits à base de CBD tels que des huiles, cosmétiques ou denrées alimentaires, réputés pour leurs bienfaits thérapeutiques. La raison? La vente de fleurs et feuilles représente en moyenne 70% de leur chiffre d’affaires. « En France, le chanvre brut et les fleurs destinées à être infusées représentent 50% du marché du CBD, soit 1 milliard d’euros », détaille Aurélien Delecroix.
Interdir la vente des fleurs et feuilles de chanvre reviendrait à faire une croix sur une manne financière importante pour les magasins français. « La décision du Conseil d’État était un vrai soulagement. Mais si l’interdiction finit par être approuvée, ça sera une catastrophe. Je serai peut-être amenée à fermer ma boutique », confie Anaïs Dubois, gérante de La Closerie, spécialisée dans le CBD à Montgeron (Essonne). J’envisageais de recruter une personne, mais face à cette incertitude, tout est remis en question », ajoute-t-elle. Les professionnels seraient ainsi contraints de revoir tout leur modèle économique pour compenser les pertes.
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« Le droit européen prime sur le droit français »
Fin décembre, à la suite de l’arrêté ministériel, Anaïs Dubois avait rapidement enlevé de ses étagères les fleurs et feuilles de chanvre. Mais tous ne se sont pas pliés à cette réglementation. Un gérant d’une boutique de CBD a confié à l’AFP avoir reçu le 19 janvier la visite de six gendarmes dans son commerce. Ces derniers ont « saisi tout son stock » dont « 600 grammes de fleurs » pour une valeur totale de « 4.000 à 5.000 euros », a-t-il expliqué. Interrogé sur ce point, le président du SPC assure avoir laissé le choix aux gérants d’exposer ou non les fleurs et feuilles de chanvre à la vente, tout en précisant les accompagner en cas de contentieux avec les forces de l’ordre. « Actuellement, on a énormément d’éléments juridiques probants pour démontrer l’inégalité de la position des autorités ».
Pour rappel, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avait en novembre 2020 jugé illégale l’interdiction en France du CBD. Elle avait estimé qu’il n’avait « aucun effet nocif sur la santé« et ne pouvait être considéré comme un stupéfiant. Un avis important en cas de litige car « le droit européen prime sur le droit français », souligne Gilles Boin avocat du cabinet Qolumn, dédié au droit des produits alimentaires et de grande consommation. Selon Aurélien Delecroix, « près de la totalité des affaires liées à la vente de fleurs et feuilles de chanvre ont été remportées par les gérants de boutique ».
La filière garde espoir
Malgré la possibilité qu’une interdiction de la commercialisation de fleurs et feuilles de chanvre soit finalement décidée par le Conseil d’État, les acteurs du secteur restent confiants sur l’avenir de la filière. Plusieurs politiques n’ont d’ailleurs pas caché leur incompréhension face à cette interdiction. Dans une vidéo publiée mardi 25 janvier, Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, a jugé la décision rendue dans l’arrêt ministériel « excessive » et « disproportionnée ». Le même jour, lors d’une séance à l’Assemblée nationale, le député François-Michel Lambert (Liberté Écologie Fraternité) a quant à lui interpellé le gouvernement en pointant du doigt un « acharnement sur le CBD ».
À la suite de la suspension par le Conseil d’État de l’arrêté du gouvernement, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a d’ailleurs « regretté » cette décision avant d’ajouter au micro de Franceinter: « On n’a pas augmenté le prix du tabac à 10 euros pour qu’on accepte la dépénalisation du cannabis ». « Il fait clairement un amalgame avec une consommation de cannabis à usage récréatif », s’indigne Aurélien Delecroix. « On vend des fleurs naturelles qui ne sont pas à fumer et qui n’ont aucun effet psychotrope. Il y a une grande méprise du gouvernement sur ce sujet », ajoute Anaïs Dubois.
Le Syndicat professionnel du chanvre espère être entendu par les autorités pour développer la filière française. À ce stade, aucun échange entre le gouvernement et les représentants du secteur n’est envisagé.
« Les fleurs de cannabis ne sont pas les fleurs du mal. »@fm_lambert (LT) interpelle le Gvt sur la suspension de l’interdiction de la vente de fleurs de CBD par le Conseil d’Etat. Il lui demande s’il est « prêt à recevoir tous ces professionnels. »#DirectAN #QAG pic.twitter.com/DJoZYcubIL
— Assemblée nationale (@AssembleeNat) January 25, 2022
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