Sven Biscop est professeur de stratégie à l’Université de Gand et directeur du programme « Europe dans le monde » à Egmont, l’Institut royal belge des relations internationales. Auteur en juin 2021 de Grand Strategy in 10 Words (Bristol University Press, non traduit), il ébauche une possible voie de règlement de la crise entre la Russie et l’OTAN.
Comment envisagez-vous une éventuelle solution au conflit entre Kiev et Moscou ?
Dans un article récent d’Egmont (« Ukraine, the Price of Stability »), j’ai lancé l’idée d’une neutralité de l’Ukraine contre un arrêt du soutien russe au Donbass et je pense que cela peut effectivement être la clé d’un compromis honorable.
Au prix de quelles concessions de part et d’autre ?
Notez d’abord que les Européens n’ont, en réalité, jamais voulu de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Ce qui s’est négocié en 2008 à Bucarest fut un mauvais accord : les Européens, soumis, à l’époque, à la pression de l’administration Bush, ont accepté à contrecœur le principe de l’intégration, mais sans fixer de délai. Il me semble qu’on aurait pu, depuis, revenir sur cet accord. Evidemment cela supposerait qu’en échange la Russie accepte de faire des concessions, et pas seulement de renvoyer dans leurs casernes des troupes qui pourraient en ressortir n’importe quand.
La condition à poser serait un retrait total des Russes du Donbass et un arrêt du soutien aux forces séparatistes armées pour permettre à l’Ukraine de reprendre le contrôle de l’ensemble de son territoire. En échange, Kiev devrait abandonner la Crimée, annexée illégalement en 2014 par Moscou. Cela peut, certes, sembler injuste, mais ce serait le prix à payer pour assurer la stabilité. En tout cas, on sait que personne n’est prêt à faire la guerre pour reconquérir la Crimée… Par la suite, Russes, Américains et Européens pourraient négocier une réduction mutuelle des forces et des armements.
Sur le principe, c’est peut-être séduisant, mais qui serait susceptible de relayer une telle idée aujourd’hui ?
Elle a été écartée par les Etats-Unis et l’OTAN, mais il me semble qu’en Europe de l’Ouest certains pays pourraient s’y rallier. Dans le contexte actuel, leurs dirigeants veulent toutefois éviter que l’UE se divise davantage. Et puis, il est clair qu’il faudrait aussi déterminer ce que veut vraiment Vlamidir Poutine : un accord, ou la création d’un conflit gelé qu’il pourrait dégeler à sa guise ?
Comment évaluez-vous la menace russe aujourd’hui ?
Elle est réelle car Poutine a mis la barre tellement haut qu’il sera difficile pour lui de ne rien engranger. Est-il sérieux quand il affirme vouloir discuter de l’architecture de sécurité européenne ? Je ne pense pas que ce soit possible sans, d’abord, une solution raisonnable pour l’Ukraine. En réalité, la Russie recherche-t-elle vraiment un tel accord, qui serait un gage de stabilité ? Poutine a en fait perdu l’Ukraine en 2014 : en annexant la Crimée et en agressant le Donbass, il a poussé Kiev dans le camp occidental. Quant au soulèvement prorusse qu’il espérait, il n’a pas eu lieu, bien au contraire. Peut-être veut-il donc maintenir un climat d’instabilité et estime-t-il que le coût sera de toute manière limité pour son pays. Peut-être veut-il aussi établir une sorte de corridor entre le Donbass et la Crimée.
Il vous reste 28.82% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.
L’article « La neutralité de l’Ukraine contre un arrêt du soutien russe au Donbass peut être la clé d’un compromis honorable » est apparu en premier sur zimo news.